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La dot, le mariage et les fêtes coûteuses au Burundi : tradition ou extrémisme culturel ?

Le mariage et la dot sont des institutions culturelles incontournables au Burundi. Cependant, ces célébrations se transforment de plus en plus en de véritables fêtes extravagantes, et la pression pour offrir des cérémonies de plus en plus coûteuses pèse lourdement sur les familles et les jeunes mariés…

La « festose »[1] qui entoure ces événements cache souvent les valeurs culturelles profondes qu’ils représentent, et peut même finir par les compromettre. Après la période estivale, nombreuses sont les familles qui se retrouvent dans une situation difficile, avec des dettes à rembourser suite aux dépenses engagées pour leur mariage.

Pour comprendre l’importance de la dot et du mariage au Burundi, il est intéressant de se référer aux analyses de deux éminents socio-anthropologues burundais.

Le premier, Abbé Adrien Ntabona, souligne que la valeur centrale de la dot réside dans l’alliance qu’elle crée entre les familles du jeune couple. Selon lui, les deux familles se perçoivent désormais comme faisant partie d’une seule et même famille. Il illustre cette idée dans son livre Itinéraire de l’éducation au Burundi. Une approche interculturaliste et complémentariste (CRID, 2009), en déclarant que : « Les clans des époux s’engagent solennellement à encadrer le jeune couple à l’occasion de la donation et de la réception de l’inkwano (dot), mais étant en fait un gage d’alliance entre les clans des époux. À partir de ces moments, les clans deviennent alliés, et se promettent assistance et solidarité sans failles. Cela est encore en vigueur, Dieu merci.»

Ces propos soulignent l’importance de l’alliance entre les familles et la solidarité qui se crée à l’occasion du mariage et de la dot. Dans ce cadre, il est donc crucial d’appréhender ces institutions culturelles dans leur contexte et leur dimension symbolique, plutôt que de les considérer uniquement à travers leur coût financier.

La jeune fille, une valeur par elle-même

Le mariage et la dot ont une valeur sociale et culturelle profonde, qui ne doit pas être éclipsée par la « festose » et la surenchère qui les accompagnent parfois.

Pour l’Abbé Jean-Baptiste Ntahokaja, anthropologue et linguiste burundais, la dot fait partie intégrante du mariage. Comme à l’accoutumée, après avoir été accueilli par le père de la fille, sa famille et ses voisins et avoir bu suffisamment de la bière de banane ou de sorgho préparée pour la circonstance, le mushingantahe (le sage) qui avait apporté l’inkwano (la dot) au père de la fille s’adresse dans un discours riche en maints détours littéraires comme le veut la tradition de la rhétorique burundaise par excellence, jusqu’à ce que le père promette sa fille à son interlocuteur.

Il y a des valeurs communes contenues dans presque tous les discours qui sont prononcés à l’occasion de la fête de dot. En effet « La jeune fille constitue une valeur par elle-même. » Raison pour laquelle elle est comparée à une vache, incomparable valeur matérielle et symbolique de la société burundaise, à la fois traditionnelle et moderne.

Il y a également la valeur de l’unité qui est mise en avant, rappelant que cette union ne se réalise pas aisément, mais qu’elle découle d’une volonté commune entre les deux familles. Ainsi, la dot est le symbole d’un rapprochement, d’une entente, d’un respect mutuel, qui transcende les familles et les générations.

Qu’en-est-il du mariage ?

Nous allons ici nous pencher sur les analyses d’un autre anthropologue théologien, Mgr Jean-Baptiste Bigangara, qui apporte une définition intéressante du mariage. Selon lui, le mariage est la « cohabitation volontaire et stable de deux personnes de sexe différent après accord et entente de leurs familles respectives, reconnues par la coutume en vue de la procréation, de l’éducation des enfants, d’un épanouissement dans l’amour et l’aide mutuelle« . En s’inspirant de cette définition, le chercheur met en lumière les deux dimensions du mariage : sa dimension individuelle et sa dimension sociale.

La dimension individuelle, d’après Mgr Bigangara, implique le libre consentement de chaque partenaire pour fonder leur foyer, une pratique devenue la norme de nos jours, à l’exception des mariages arrangés dans le Burundi traditionnel.

Quant à la dimension sociale, elle est caractérisée par l’importance accordée à l’accord des parents des deux conjoints lors des mariages coutumiers burundais. En effet, l’union des deux partenaires sans l’aval des parents n’est pas bien vue par l’entourage et entraîne souvent l’absence de soutien social et économique. Mgr Bigangara souligne également les différentes valeurs impliquées dans le mariage traditionnel, comme la fécondité et l’éducation des enfants, la vie affective des époux ainsi que l’entraide mutuelle.

Face à l’inflation de la fête : les conseils des Bashingantahe

Lors d’une conférence-débat sur la dot et le mariage tenue à la Cathédrale Regina-Mundi le 18 juin 2023/©️Jimbere

Les pratiques de la dot et du mariage sont contraignantes et imposées socialement, créant une pression symbolique qui peut causer de la culpabilité. Bien qu’institutionnalisées, il est important de les remettre en question pour voir si elles sont adaptées aux valeurs et aux besoins de la société actuelle et si des modifications peuvent être faites sans perdre leur importance culturelle.

A titre d’exemple, les jeunes Burundais de nos jours ne considèrent plus la pratique de la dot comme obligatoire, car elle implique des dépenses considérables et crée une pression sociale. De plus, cette pratique profite souvent davantage aux parents des mariés qu’à ces derniers.

Les Bashingantahe, les sages traditionnels burundais, pourraient être d’une aide précieuse pour les Burundais qui font face à l’inflation des coûts liés aux festivités telles que la dot, en réexaminant les coutumes et en proposant des alternatives qui préservent les valeurs culturelles tout en étant plus adaptées aux besoins actuels de la société.

Lors d’une conférence-débat tenue à la Cathédrale Regina-Mundi le 18 juin dernier à l’endroit des jeunes, le Professeur Nicodème Bugwabari a partagé les conseils qu’il a reçus de l’institution traditionnelle des Bashingantahe sur la question complexe de l’inflation des festivités au Burundi.

Les Bashingantahe ont souligné les valeurs qui sous-tendent chaque fête selon les traditions ancestrales, insistant sur leur caractère toujours d’actualité aujourd’hui. Ils encouragent fortement les Burundais à ne point accorder trop d’importance aux éléments coûteux et harassants de la modernité, qui pèsent particulièrement lourdement sur les familles à revenu modeste. Pour contrer l’inflation des coûts des festivités, ils exhortent à ne pas se laisser assaillir par une culpabilisation excessive engendrée par le manque de contributions matérielles. Au contraire, il est préconisé de réveiller nos valeurs culturelles en élaguant de manière implacable les éléments dispendieux et superflus.

Oui aux valeurs mais non aux préoccupations matérielles !

Primo, Les Bashingantahe conseillent de ne pas trop insister sur la fête des fiançailles (Ugusaba irembo), car ce n’est pas le jour de la dot : les parents, des deux côtés, pourraient simplement se rencontrer sans festivités.

Secundo, la dot symbolise l’alliance entre les familles des futurs conjoints, mais aujourd’hui, l’argent prend le dessus sur les valeurs culturelles. Les sommes demandées sont souvent insupportables pour le futur marié qui peut être obligé de contracter un crédit bancaire. Les parents devraient mettre ensemble tous les moyens possibles pour éviter les dépenses excessives et favoriser l’harmonie des familles.

Tertio, et en fin de compte, les Bashingantahe reconnaissent le mariage comme une grande fête mais recommandent de ne pas inviter trop de monde et d’éviter les dépenses excessives. Les jeunes mariés devraient se concentrer sur les valeurs du mariage telles que l’amour, l’entraide mutuelle et l’éducation des enfants, plutôt que sur les préoccupations matérielles qui les distraient.

Peut-on espérer un avenir où les Burundais renonceront à ces fêtes fastueuses pour éviter de s’appauvrir davantage ? Peut-être est-il temps de méditer sur le proverbe français qui dit : « Aimez-vous les uns les autres, mais aimez-vous plus modérément.


[1] Terme utilisé par le théologien-anthropologue Adrien Ntabona, dans un entretien à la Paroisse Esprit de Sagesse, Bujumbura, le 12 mars 2016.

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