Le caleçon n’a pas toujours été porté par la population de l’intérieur du pays. Il a fallu du temps pour que le port des slips puisse entrer dans les habitudes vestimentaires de la population rurale.
Dans le Burundi profond, plusieurs sources convergent sur le fait que le port du caleçon reste un luxe. A part quelques intellectuels et ceux qui ont côtoyé les missionnaires occidentaux, les milieux paysans ignoraient carrément son port jusqu’à l’avènement de la colonisation. Dans la mémoire burundaise, le caleçon a été pourtant un objet de convoitise. Cela transparaît dans différentes chansons paillardes comme celle qui glorifie la puissance des Blancs : « Abazungu ni abagabo bo bazanye ama kareso ngo babuze abarundi guhena ». Littéralement « les Blancs sont forts, eux qui ont inventé des caleçons pour cacher notre nudité ».
Adolphe Ntibasharira créateur du Ballet National dans les années 1970 et ancien administrateur de la commune Jene (Kabarore actuel) en province de Kayanza, se souvient que jusqu’en 1979 la plupart de Burundais ne portaient pas de caleçons : « Pendant les cérémonies officielles de la visite au Burundi du président rwandais Juvénal Habyarimana en février 1979, les danseurs d’Agasimbo de la province de Makamba se sont révélés nus quand ils s’exhibaient devant les deux présidents. C’était la honte, la honte. Et en premier lieu pour moi, responsable du Ballet. Honte aussi pour les hautes autorités du pays. C’est par là donc, que m’est venue une idée d’acheter des petites culottes pour les danseurs. Ils devaient désormais mettre sous la tenue traditionnelle lors des représentations culturelles. »
Quand il fut nommé administrateur de la commune Jene en 1981, il trouve finalement la même situation chez les filles du Ballet Vommunal. « Il y avait une compétition de tous les ballets communaux au niveau de la province de Ngozi pour la célébration du 19ème anniversaire de l’Indépendance du Burundi. Pendant les préparatifs, j’ai constaté que les jeunes filles de mon ballet portaient seulement des ibinyebete, ces lourds et vieux haillons qui les empêchaient de danser avec élégance. »
La responsable du groupe se confia alors à Adolphe : « Twambara nk’ikigori kuko dutinya guhena », on s’habille lourdement comme les feuilles qui se chevauchent autour de l’épi du maïs, parce qu’on a peur d’étaler notre nudité devant les spectateurs.
Cette fois-ci Ntibasharira use de son autorité pour sensibiliser et exiger les services communales d’acheter les caleçons pour tous les membres du ballet. Au magasin de l’Office National du Commerce (ONC), il ordonne d’amener de nouveaux produits, stimule la population locale de s’en procurer : «La commune acheta deux paires de caleçons et une robe à chacune des jeunes filles du ballet communal», se rappelle l’ancien administrateur.
Une révolution vestimentaire dans l’arrondissement de Kayanza
C’était comme une révolution vestimentaire, témoigne Ntibasharira : « Elles pouvaient désormais soulever aisément les jambes et les bras lors des préparatifs pour la compétition. En plus elles ont servis de modèles dans leur entourage. Depuis ce temps, au début des fiançailles les filles de Kayanza exigeaient à leur futurs conjoints le cadeau d’une petite culotte ».
Le 1er juillet 1982, lors de la compétition provinciale à Ngozi, le Ballet communal de Jene se classe premier. Leur tenue vestimentaire a forcé l’admiration des autres administrateurs communaux et des participants. Les autorités provinciales ont fini par comprendre l’utilité se sensibiliser la population sur le port des caleçons, conclut Adolphe Ntibasharira qui continuera après cette sensibilisation dans les communes de Gahombo et Matongo à Kayanza.