Les galeries et les marchés sont des milieux de rencontre pour des milliers de personnes. Ceux qui y exercent le commerce y passent plusieurs heures de travail variant entre 8 et 10 heures par jour. Ce qui implique le besoin de se soulager deux à cinq fois par jour. Le prix pour ce besoin vital est exorbitant. Ce qui pousse certains commerçants à se retenir ou à se priver de boire de l’eau. Les conséquences ne se font pas attendre. Reportage.
Tous les jours de la semaine, Marianne*(nom d’emprunt) 39 ans, mère de quatre enfants se réveille à l’aube pour aller vaquer à ses activités quotidiennes au marché de Kinama.
Elle se ravitaille en vêtements de seconde main chez les grossistes, pour ensuite les vendre au détail. C’est son quotidien, et elle s’y est adaptée depuis six bonnes années.
Elle passe ses journées devant son étroit stand, faisant parfois les yeux doux aux passants pour maximiser ses chances en vue d’avoir du pain à rapporter le soir dans la famille. Cela malgré sa grossesse. Chérie, tonton, sister, braza pour dire brother (frère) sont les mots qu’elle utilise couramment avec un sourire bienveillant pour flatter et attirer sa clientèle. Cela dure 10 heures de dur labeur chaque jour. Elle a parfois besoin de se soulager. Malgré son ancienneté au marché de Kinama, elle doit payer 200 Fbu pour avoir accès aux toilettes. Le seul avantage est qu’il y a des toilettes pour hommes et pour femmes.
« C’est trop cher. Je ne peux pas y aller le nombre de fois que je veux. Imaginez si je n’ai pas vendu mes articles et que je m’adonne aux dépenses somptueuses. Ce serait consommer sans produire. Je n’ai que 500 mille FBu comme capital, et je dois payer mensuellement 30 mille FBu de sous-location du stand. Je suis obligé de me retenir et j’y vais uniquement quand je n’en peux plus. J’ai déjà souffert d’infections urinaires plus de trois fois. Mais ai-je vraiment le choix parmi une foule de marchands qui estiment cela normal ? Je vis avec et je m’habitue », confie-t-elle.
Les galeries dans la cadence
Cynthia, 24 ans, une jeune étudiante, travaille dans la galerie du Progrès au centre-ville de Bujumbura depuis deux ans pour subvenir à ses besoins académiques.
Selon elle, le propriétaire du stand paie 250 mille FBu de loyer, 3500 FBu de frais de l’électricité et 2500 FBu pour la propreté. Il doit aussi payer trimestriellement 30 mille FBu d’impôt forfaitaire à l’Office Burundais des Recettes (OBR) et 30 mille FBu au compte de la Mairie au début de l’année pour officialiser son activité.
L’employé, à son tour, se débrouille pour ses besoins comme fréquenter les lieux d’aisance, soit 3 fois par jour moyennant paiement de 200 FBu par fréquence, soit 18 mille FBu par mois. Cela étant donné qu’elle travaille sept jours sur sept. Le déjeuner est évalué à 2 mille FBu par jour, soit 60 mille FBu par mois. Cela sans oublier qu’on achète de l’eau pour boire.

Mme Cynthia indique que l’occupant du stand peut gagner au moins trois millions de FBu par mois pendant les périodes de fête.
Pour elle, le prix de fréquentation des toilettes est exorbitant. Cette somme devrait être revue à la baisse, ou être incluse dans les frais de paiement du loyer.
« Je ne gagne presque rien. Mon salaire mensuel est de 150 mille FBu. Aux frais de fréquentation des toilettes s’ajoutent les frais de déplacement par jour, soit 1200 FBu par jour, soit 36 mille FBu par mois. Il ne me reste presque rien. Dîner devient impossible sans parler des frais de paiement du loyer qui montent du jour au lendemain », se désole-t-elle.
Mireille, la quarantaine, loue les corbeilles et autres matériels de décor pour les fêtes dans la galerie appelée Village Market. Ce qui l’inquiète le plus c’est le coût élevé de la fréquentation des toilettes qui sont dans un état déplorable, et qui ne respectent pas l’intimité des uns et des autres.
Cela parce qu’il n’y a pas de toilettes réservées pour les hommes seulement et celles réservées pour les femmes seulement. Tous les hommes et les femmes qui travaillent dans cette galerie partagent trois latrines.
Le prix pour pouvoir les utiliser est d’à peu près 20 mille FBu par mois. La situation devient intenable. Les dépenses risquent d’être supérieures à l’argent encaissé surtout que le salaire n’est pas revu à la hausse en tenant compte du coût de la vie en ville. Il y a également le risque de propagation des maladies liées au manque d’hygiène.
Pour Madeleine* (nom d’emprunt), quinquagénaire vendeuse d’habits pour enfants depuis 11 ans au marché appelé Chez Sion », c’est plus qu’une menace pour leur santé. C’est comme un soulagement pour elle de savoir que les médias en parlent.
« Des commerçants achètent de petits seaux dans lesquels ils urinent. Vers 17 heures quand nous rentrons, ils versent leurs déchets dans les caniveaux jouxtant le marché. Le lendemain, nous sommes obligés de travailler dans une puanteur innommable. J’aurais aimé que Sion facilite la disponibilité des toilettes pour les marchands, à défaut de réduire les prix d’y accéder. Normalement, on ne devrait pas payer pour aller aux toilettes », se désole-t-elle.
A qui profite la situation ?
Gad Ngendakumana, quadragénaire loue les toilettes au marché de Kinama pour une valeur de 200 mille FBu par mois. Selon lui, c’est un business comme tant d’autres.
« Je suis déjà habitué à ce business. Cela fait plus de dix ans que je loue les toilettes. Toutefois, comme l’eau de la Regideso n’est pas toujours disponible, j’achète chaque jour des bidons d’eau à 20 mille FBu pour faire la propreté des lieux d’aisance. Je dois nourrir le travailleur à 3 500 FBu chaque jour, soit 105 mille FBu par mois en plus de 30 mille FBu que je lui dois comme salaire de base. Le vidange des toilettes me coûte entre 200 mille FBu et 300 mille FBu chaque mois », explique Ngendakumana avant de marteler : « Je dois aussi utiliser quatre boîtes de désinfectant à base de chlore par mois. Celles-ci coûtent 25 mille FBu chacune, soit 100 mille FBu par mois. En somme, je dépense environ 950 mille FBu. Mais je peux garantir que je ne perds rien. Les toilettes sont fréquentées par 100 à 300 personnes par jour ».
Selon Kaunda Idy, Commissaire du marché de Kinama, plus de 2000 stands y sont fonctionnels. Les échoppes se louent entre 70 mille FBu et 100 mille FBu chacun selon les dimensions et l’emplacement.
« Le marché possède 3 blocs de toilettes loués par des particuliers à raison de 200 mille FBu par mois. Personne ne passe la nuit ici. C’est un lieu de travail. Certains des commerçants vivent dans les environs et vont se soulager chez eux. Ce qui explique que les toilettes sont utilisées par ceux qui en ont le plus besoin », souligne-t-il.
Mr Joseph Dukundane, commissaire du marché dit « Chez Sion » trouve que le paiement des frais d’accès aux toilettes est une condition sine qua none si on tient compte de leur entretien.

« Tel que conçu, le marché prévoit des toilettes dans ses différents coins. Celles-ci sont séparées selon que la personne qui les fréquentes est une femme ou un homme. Le prix par fréquentation est de 200 FBu mais, il existe des toilettes destinées à la classe élevée (VIP) où on paie 500 FBu par fréquentation. Sachez qu’on doit entretenir ces toilettes en faisant le vidange, les torchonner, les désinfecter…Donc payer 200 FBu est raisonnable. D’ailleurs, pour ceux qui les fréquentent souvent, on a prévu un abonnement forfaitaire mensuel de 10 mille FBu », informe-t-il avant d’annoncer que le marché est composé d’entre 2800 et 3000 stands.
La rétention déconseillée
Dr Aimable Ndayizamba, médecin généraliste, trouve que ce n’est pas bien pour la santé de se retenir. Il y a un risque d’attraper les maladies. « Plusieurs complications peuvent en découler, par manque de vidange. Étant donné que l’urine est naturellement salée, il se forme des caillots salés qu’on appelle calculs rénaux qui peuvent apparaître au niveau de l’urètre, de la vessie. Ça peut obstruer la voie urinaire. Cela cause la cystite qui est une inflammation de la vessie, des vulvites et des infections urinaires répétitives… », souligne-t-il.
Dr Ndayizamba rappelle que le corps humain est composé de plus de 75% d’eau. Il est donc conseillé de boire au moins deux litres d’eau par jour et d’éviter de s’abstenir quand on a besoin de se soulager.
