L’appartenance sexuelle joue depuis longtemps contre les femmes, utilisée pour les discriminer socio-économiquement. La coutume burundaise les ainsi a reléguées au rang d’usufruitière des biens immeubles, dont elles pourraient disposer. Si, aujourd’hui, le statu quo reste maintenu à travers le pays, les habitants de certaines collines de la province Muyinga (au Nord-Est du Burundi) sont presqu’en rupture de ban grâce à la certification foncière dont les femmes sont bénéficiaires
Commune Buhinyuza : c’est l’épicentre d’un nouveau phénomène social sans précédent au Burundi. Aujourd’hui plus qu’hier, être propriétaire d’une parcelle est un droit acquis par pas mal des femmes de cette localité de la province Muyinga, nichée entre les communes de Muyinga au Nord, Mwakiro au Sud, Buhiga à l’Est et Kigamba en province Makamba à l’Ouest.
En effet, 427 femmes (célibataires ou divorcées) sur 672 hommes ont décroché un certificat foncier de leurs parcelles, où est inscrit leur nom, à l’issue d’une campagne d’enregistrement systématique et gratuite des terres effectuée sur 12 des 25 collines que compte Buhinyuza, dans le cadre du projet PRRPB.
Légalement, ce document permet d’établir de manière certaine que la personne qui l’a obtenu est propriétaire de sa terre, conformément à l’article 313 du code foncier du Burundi de 2011, explique Prof Emery Nukuri, spécialiste en droit foncier.
« Le certificat foncier est plus avantageux en matière de sécurisation des ce type de droits, car il permet d’enregistrer ceux d’une seule personne, des droits collectifs des membres d’une même famille ou d’une propriété appartenant à plusieurs personnes, précise-t-il. Toute personne (homme ou femme) peut demander un certificat foncier comme preuve de la propriété de sa terre. Ainsi, les femmes ayant acheté individuellement des parcelles, qui ont hérité de maisons, ou bien les veuves, peuvent faire enregistrer leurs droits fonciers auprès du service communal adéquat. »
De quoi donner le tempo à l’autonomisation économique de la femme burundaise, longtemps étouffée par son exclusion des ressources – comme la terre, véritable mamelle pour la majorité de la population – qui pourraient servir de levier.
Rencontré sur la colline Gasave, Sauda Niyonsaba, 38 ans, affirme que la certification foncière met du beurre dans les épinards chez plus d’un. D’après cette présidente de l’association d’épargne et de crédit dénommée « Twitezimbere », les femmes de cette association ont désormais carte blanche quant à l’accès à des prêts consistants : « Elles n’ont qu’à présenter leurs certificats fonciers pour servir de garantie de remboursement », confie-t-elle.
« On a encouragé une consultation entre conjoints »
On l’imagine aisément, un tel « revirement » est parfois dur à avaler dans une société aussi patriarcale que le Burundi.
Par quel moyen amener un homme à comprendre qu’il doit consulter sa femme avant de vendre une partie ou la totalité de la terre une fois que sa femme serait inscrite ? Comment expliquer à une famille que le certificat foncier laisse carte blanche aux filles/femmes sur leur portion de terre « Igiseke », dans un contexte de terres qui se morcellent et s’amenuisent progressivement ?
Selon la coutume, les filles/les femmes n’héritent pas des biens, particulièrement le patrimoine foncier laissé par ses parents. Elles ont certes droit à une part appelé « Igiseke », qu’elles peuvent exploiter ou y vivre en cas de divorce, lequel lopin ne peut pas être vendu.
Pour nous éclairer, Balthazar Nzohabonimana, agent foncier communal, confie qu’en prélude de l’enregistrement systématique et gratuit des domaines fonciers, le service communal et l’administration ont mené sur chaque des 12 collines des séances de sensibilisation de la population sur la plus-value de la certification foncière.
« On leur expliquait qu’en tant que père de famille, il est plutôt logique d’inscrire sa femme sur ce document afin que les enfants puissent hériter du domaine familial sans qu’un autre individu ne s’en accapare après son décès », indique-t-il, avant d’ajouter : « On a encouragé une consultation entre conjoints, avant de prendre chaque décision. Nonobstant les couples en détresse, plusieurs familles ont choisi de commun accord d’inscrire les deux noms sur le certificat foncier. Et voilà, le tour est joué. »
Nestor Ndayiragije, père de famille, fait savoir qu’il n’a eu aucun souci à s’entendre avec son épouse pour l’enregistrement de leurs parcelles sur le certificat foncier. Conjointement, souligne-t-il, le couple a choisi d’inscrire les deux noms pour les terres qui appartenaient à l’un et à l’autre.
Pour Prof Emery Nukuri, la véritable innovation a été de sensibiliser les hommes et femmes mariés d’enregistrer les biens fonciers du ménage à la fois sur l’homme et la femme comme copropriétaires des biens du ménage. « Dès l’introduction du certificat foncier communal en 2011, la pratique des services fonciers communaux était d’inscrire les biens fonciers du ménage sur l’homme qui est considéré par le code des personnes et de la famille – CPF comme le chef de la communauté conjugale.Malheureusement, on s’est rendu compte que les hommes en profitaient pour les hypothéquer aux banques et microfinances à l’insu de leurs épouses et enfants. Il y avait aussi le risque qu’ils vendent en cachette les terres et maisons certifiées appartenant à la famille, ce qui est pourtant dangereux« , interpelle-t-il.
« Igiseke » ou la pomme de discorde
Si l’enregistrement des terres au certificat foncier semble passer comme une lettre à la poste, le cas des portions de terres appelées « Igiseke » n’a pas eu la cote dans les collines de Buhinyuza.
Chicaneries, imbroglios, guet-apens entre frangins… : Trinité Murerwa, cheffe de colline Kiyange en a vu de toutes les couleurs. D’une part, raconte-t-elle, si les parents sont décédés avant d’avoir prononcé leurs derniers souhaits quant au sort du patrimoine, les frères refusaient catégoriquement que leurs sœurs bénéficient du privilège de certifier leurs portions de terre. Ces litiges, poursuit Trinité, ont été tranché par les instances judiciaires. D’autre part, de telles questions ont été résolues dans les chaumières.
Témoin d’une telle oppression de la part de ses frères, Scholastique Ntahombaye, 68 ans, a dû batailler battue contre ses frères afin de faire inscrire sa part d’héritage au service foncier communal. Victime d’une fistule obstétricale à 18 ans, Scholastique n’a pas eu d’enfants et s’est séparée de son mari à cause de la guerre civile.
De retour du camp de réfugiés en Tanzanie, elle n’est pour autant sortie de l’auberge : « Ils m’ont repoussée en me disant que je n’avais pas de place, mais j’ai réussi à passer entre les gouttes. Ça a été un procès marathon, j’ai essuyé des menaces et intimidations au point de prendre la fuite. On m’appelle ‘Ingare’ (rebelle) parce que je n’ai pas avalé le morceau. Même si je suis sortie de cette affaire judiciaire en ayant eu gain de cause, je n’ai pas les coudées franches : mes frères continuent de me tailler des croupières en m’interdisant de vendre ou hypothéquer mon héritage », grogne-t-elle.
Loin d’être un cas isolé, Denise Ndaruhekere, la cheffe de cabinet du gouverneur de Muyinga, reconnait que de tels faits s’observent toujours. Elle regrette pourtant l’absence d’une loi clarifiant le régime successoral au Burundi : « Cette question reste délicate d’autant plus que les instances judiciaires peinent à se référer à une loi bien définie.»
Mme Ndaruhekere se réjouit du pas déjà franchi, et souligne que les leaders communautaires et l’administration sont à l’œuvre pour sensibiliser à l’importance de la certification foncière dans plusieurs communes, ailleurs que Buhinyuza. « D’autres organisations comme Cordaid nous ont emboîté le pas, et font des pieds et des mains pour conscientiser la population de Muyinga », glisse-t-elle