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Accès aux sources de l’information : la croix des journalistes burundais

« Selon Reporters Sans Frontières, la liberté de presse connaît une régression au Burundi»

Entre méfiance et rétention de la part des détenteurs de l’information, les professionnels des médias se retrouvent aujourd’hui doublement piégés dans l’exercice de leur métier, baignant dans un écosystème marqué par une régression de la liberté de la presse et une absence d’une loi spécifique garantissant le droit d’accès aux sources d’information publique.

Le quotidien des journalistes burundais est loin d’être une sinécure. Chaque jour, témoignent certains professionnels de l’information, leur travail se heurte aux milles et un défi. Depuis la crise de 2015, souligne un confrère, la pratique du journalisme semble être un calvaire sans précèdent. Cet état de fait occasionné par le recul quasi total du respect des droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression, décrédibilise la presse auprès de l’opinion publique.

Sous couvert d’anonymat, un professionnel s’indigne des exigences souvent requises par l’administration publique pour la collecte de l’information sur terrain. Il regrette l’injonction selon laquelle un journaliste qui se rend dans une province ou dans une commune quelconque doit obligatoirement demander une permission au responsable de l’administration territoriale, avant de faire son travail : « Cette mesure va à l’encontre des conditions requises de notre métier, car c’est tellement incompréhensible qu’un journaliste qui dispose de la carte de presse et enregistré auprès du CNC, soit contraint de demander une permission à l’administration locale dans une région où il veut exercer son travail.»

Pire encore, déplore une consœur qui a requis l’anonymat, certaines autorités tant publiques que privées sont sceptiques face à la recherche de l’information par les professionnels des médias. Cette journaliste d’une dizaine d’années d’expérience leur reproche une rétention de l’information et des dérobades pour s’esquiver de leur devoir d’informer. Elle rappelle la réponse donnée par le Ministre en charge des Finances à nos confrères qui l’interrogeaient lors d’une synergie des médias du 13 mars 2025, qui s’est penchée sur la viabilité de la carte d’assistance maladie (CAM). Nestor Ntahontuye, le grand argentier, a choqué plus d’un en disant qu’il ‘‘ne donne pas des informations officielles aux médias privés’’.

Une preuve de plus, selon notre source, que le droit d’accès à l’information n’est pas respecté au Burundi, sans parler des récents préjudices subis par Willy Kwizera, journaliste à la radio Bonesha, violenté par un groupe d’étudiants à l’intérieur du campus Mutanga, alors qu’il s’y rendait pour effectuer un reportage. Des cas qui ne cessent pas de se reproduire, entravant ainsi l’exercice du journalisme professionnel et indépendant.

Un métier sacrifié

Jean Claude Kavumbagu, directeur de Net Press : « Certains dignitaires ne répondent pas convenablement aux questions posées par les professionnels de l’information lors des émissions publiques animées par l’autorité publique.»

Pour Jean Claude Kavumbagu, directeur de l’agence Net Press, le journaliste est aujourd’hui obligé parfois de donner une information incomplète ou alors d’abandonner sa diffusion, suite à l’absence de sources nécessaires. De plus, indique ce journaliste chevronné, certains dignitaires ne répondent pas convenablement aux questions posées par les professionnels de l’information lors des émissions publiques animées par l’autorité publique.

Un autre obstacle à la liberté d’expression, insiste Mr Kavumbagu, réside au niveau des lois régissant l’exercice du journalisme. Il précise que la pénalisation des délits de presse, et les dispositions du code électoral qui restreignent la diffusion des résultats des urnes par les journalistes sous peine d’emprisonnement, freinent l’évolution d’un journalisme indépendant au Burundi.

Esdras Ndikumana, journaliste à la RFI : « Les professionnels des médias burundais ont aujourd’hui peur de traiter des sujets sensibles. »

Même son de cloche chez Esdras Ndikumana, journaliste burundais qui travaille à la Radio France Internationale (RFI). Selon lui, les professionnels des médias ont aujourd’hui peur de traiter des sujets sensibles. « Si je compare à ce que le paysage médiatique burundais était devenu dans les années 2000, 2005, où le journalisme burundais était considéré comme modèle dans la région, et par rapport à aujourd’hui, je constate que notre pays a fortement reculé », déplore-t-il.

Ce regret est partagé par Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome. Cet acteur de la société civile trouve qu’il est difficile de mener des investigations journalistiques au Burundi : « Les médias ont peur, et font parfois face à la censure ou bien même à l’autocensure par crainte de représailles. »

Pourtant, en janvier 2021, à environ 7 mois après son entrée en fonction, le Président de la République Evariste Ndayishimiye avait laissé entendre une volonté d’améliorer la liberté de la presse au Burundi.  Avec son slogan « Jamais sans les médias », il avait invité le CNC à s’asseoir ensemble avec les responsables des médias pour trouver les solutions aux problèmes qui hantent le journalisme au Burundi, reconnaissant ainsi son rôle dans le développement du pays : « Ce que je vous promets est de trouver des solutions à nos différends antérieurs. Il y a des médias qui ont été sanctionnés. Que le CNC s’assoie avec leurs responsables pour que ce dossier soit clôturé. C’est du passé qu’il faut condamner et corriger. Qu’il y ait des pourparlers avec le CNC et que ces médias s’engagent dans le développement, car nous pouvons témoigner que les médias ont un rôle à jouer dans le pays. »

De l’information à la désinformation

Ces défis dans l’exercice du journalisme professionnel alimentent des tendances et des recours aux rumeurs. Pour Stany Nahayo, directeur de la radio scolaire Nderagakura, quand la rétention de l’information chez les détenteurs devient une routine, la population se tourne vers d’autres sources d’informations notamment les réseaux sociaux : « Or, tout ce qui se trouve en ligne n’est pas authentique et est difficilement vérifiable. »

La même déception est ressentie chez certains auditeurs et lecteurs interrogés. Ils disent ne pas être informés suffisamment sur tout ce qui se passe dans le pays. «J’ai l’impression que les médias nous donnent des informations filtrées. C’est comme s’ils font un travail bâclé, avec un traitement sans saveur et sans profondeur. Rien que des reportages superficiels », lâche-t-il.

Ce constat amer s’ajoute au regret de Pierre*, qui, nostalgique de la presse professionnelle et indépendante, critique la qualité de l’offre d’informations par les médias : « Certes, les journalistes essaient de faire de leur mieux en exerçant leur métier malgré de multiples contraintes. Mais, il faut l’admettre qu’après la crise de 2015, le paysage médiatique n’est plus comme avant, et on le ressent dans les journaux et les programmes que nous offrent quotidiennement les professionnels de l’information, surtout avec une certaine réserve dans le traitement des sujets dits sensibles. »

Malgré les défis, la plateforme intégrale de la société civile (Pisc Burundi) invite les médias à respecter les lois et les règlements législatifs de leur métier. Jean-Marie Nduwimana, président de cette organisation recommande aussi aux institutions d’être flexibles face aux sollicitations des professionnels de l’information, car, selon lui, le travail des journalistes est primordial dans le développement du pays. Il fustige le comportement de certains administratifs qui, par ignorance, par mauvaise foi ou par négligence, ne donnent pas convenablement les informations aux publics, à travers les médias, alors que c’est dans l’intérêt de la nation.

L’urgence d’une loi spécifique

Mireille Kanyange, présidente de la Maison de la presse : « Avec la mise en vigueur d’une loi sur l’accès à l’information, nous espérons qu’il n’y aura plus de rétention d’information. »

Au niveau de la Maison de la presse,  l’on salue l’effort de certaines autorités publiques qui facilitent le travail des journalistes en leur délivrant des informations comme il faut. Toutefois, Mireille Kanyange, présidente de la Maison de la presse, déplore la rétention de l’information chez certains administratifs. Pour elle, l’information est un bien public : « Nous savons qu’il y a un projet de loi sur l’accès à l’information. Que le processus, disons, soit accéléré, afin que cette loi puisse voir le jour. Avec sa mise en vigueur, nous espérons qu’il n’y aura plus de rétention d’information. Je demande donc à ces détenteurs d’informations de les livrer comme il faut, sinon le journaliste sera amené à être partiel. »

Abondant dans le même sens, Gérard Ntahe, spécialiste du droit des médias, explique que les lois sur l’accès à l’information publique renforcent la transparence et invitent les pouvoirs publics à rendre des comptes à leurs administrés et à combattre la corruption.

Toutefois, nuance cet expert, l’impact réel de ces lois dépend de nombreux autres facteurs comme la garantie de la liberté de presse et la liberté d’association. « L’accès à l’information publique n’est pas absolu, c’est-à-dire qu’il y a des limites. Cela signifie qu’il existe des domaines qui échappent à ce genre d’application. C’est le cas notamment de tout ce qui touche à la défense nationale, au respect de la vie privée, aux secrets médicaux. Ces secteurs-là sont protégés », conclut-il.

Le journalisme professionnel, un pilier de la démocratie

Pour le parti Uprona, il y’a régression de la liberté de la presse depuis la crise de 2015. D’après Olivier Nkurunziza, président ce parti, il y a aujourd’hui beaucoup de radios, mais l’autocensure est d’autant plus grave que de nombreux journalistes travaillent la peur au ventre : « On ne trouve plus du journalisme d’investigation, la critique dans les médias. Il y’a des institutions de l’Etat qui ne donnent pas de l’information comme il faut, et cela démontre que certains principes et valeurs de la démocratie ne sont pas respectés. »

En effet, selon le dernier rapport mondial de l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), la liberté de la presse connait une régression au Burundi. RSF précise qu’en l’espace d’une année, le Burundi est passé de la 108ème position à la 125ème place.

Espérance Ndayizeye, présidente du CNC : « Le fait que le Président de la République donnent les informations aux journalistes en temps réel et sur tous les sujets devrait servir d’exemple à toutes les autorités. »

Pour Esperance Ndayizeye, présidente du Conseil national de la communication (CNC), « le fait que le Président de la République a pris les devants et donnent les informations aux journalistes en temps réel et sur tous les sujets » devrait servir d’exemple à toutes les autorités, et à tous les détenteurs de l’information publique.

« Ceux qui n’ont pas encore compris le rôle des médias, et leur contribution à la vie de la population devraient se ressaisir, surtout en donnant l’accès aux médias à l’information, qui est utile à la vie au développement de la population », souligne-t-elle, avant de recommander aux journalistes de faire preuve d’éthique et de déontologie dans leur travail en adoptant toujours une approche et un comportement qui ne portent pas préjudice à leurs sources d’informations, ce qui les rassure et alimente un bon climat dans leurs rapports.

Selon Jean de Dieu Mutabazi, président du parti Radebu, le niveau de l’accès à l’information par les journalistes est comparativement bon par rapport à la sous-région de l’Afrique de Est : « Quand je regarde comment les journalistes sont chaque fois invités pour couvrir les activités du chef de l’État, de l’Assemblée nationale, du Sénat, du gouvernement et de la magistrature, dans les émissions publiques animées par les porte-paroles des différentes institutions… c’est un bon exemple qu’au niveau médiatique, l’espace est large. »

Cependant, interpelle ce politicien, cet espace n’est pas assez, d’autant plus que nous sommes dans un pays démocratique : « Il y’a moyen de l’élargir. Nous ne devons pas oublier que les médias, c’est le quatrième pouvoir, à côté des trois pouvoirs reconnus, c’est-à-dire le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Mais ce quatrième pouvoir, comme c’est un pouvoir qui équilibre aussi d’autres, comme on le dit, c’est la voix des sans voix. Il informe non seulement les burundais sur l’état de la vie nationale, sur ce qui se passe, mais il informe aussi les étrangers. »

Pour Mr Mutabazi, les journalistes devraient avoir des limites dans leur travail : « Parce qu’il y a des domaines qu’on appelle les domaines qui relèvent du secret d’état, le secret défense, pour sauvegarder la sécurité du pays. Donc on ne pourrait pas dire qu’il faut leur ouvrir tout l’espace, sinon il peut y avoir des abus. Bref, il faut élargir l’espace, mais garder certaines limites. »

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