Des milliers de jeunes burundais abandonnent l’école chaque année pour diverses raisons. Pour mettre fin à ce phénomène, des acteurs proposent des solutions… Récit.
Au cours des deux dernières années scolaires, les cas d’abandons scolaires ont franchi la barre de 200.000 élèves. Pour comprendre l’ampleur du phénomène, ce chiffre correspond par exemple à toutes les inscriptions au fondamental et post fondamental de l’enseignement général et technique de toute une province.
4.745 des 205.017 élèves inscrits au début de cette année scolaire à Makamba ont déserté leurs classes vers la fin du premier trimestre. A Rutana, sur 130.388 élèves, 4.411 ont abandonné l’école. A Kirundo et Ngozi, les chiffres tablent au-delà de 7.000, pour ne citer que ceux-là.
Pour Louise Nshimirimana, conseillère chargée de la planification et des statistiques à la direction provinciale de Rutana, même si la tendance semble être la même que celle observée l’année passée, la situation peut s’aggraver au vu de la pauvreté qui s’accélère et des récoltes qui ne se sont pas bonnes dans le pays.
Quid des raisons ?
Les causes d’abandons scolaires sont multivariées et complexes suivant les régions. Sur les rives du lac Tanganyika à Muguruka de la commune Nyanza-Lac au sud du Burundi, la pêche est pointée du doigt comme principal cause des cas d’abandons scolaires observés. Sur place, une trentaine d’enfants et jeunes adolescents sillonnent la plage. Il est 14h, certains d’entre eux déchargent l’eau des bateaux de pêches, quelques petits tout nus se baignent dans le lac. A la question de qui a abandonné l’école et pourquoi. Eric Hatungimana, 18 ans, raconte avoir quitté l’école alors qu’il était en 9ème année : « Mes parents n’étaient plus capables de me payer les frais scolaires. J’ai été chassé de l’école et j’ai atterri ici pour me faire un peu d’argent. Et depuis, je m’occupe de petit boulots offerts par les pêcheurs professionnels. » Ntakirutimana Obed, 14 ans, raconte qu’il s’était absenté à l’école car renvoyé pour aller se faire coiffer. Il n’y est plus retourné.
???? 4.641 cas d'abandons scolaires dont 2.215 filles avec 33 cas de grossesses non désirées, enregistrés au 1er trimestre de l'année scolaire 2022-2023 à #Makamba
— Jimbere (@MagazineJimbere) February 13, 2023
✍️???? La pauvreté et la recherche d'emploi en #Tanzania & #Zambia parmi les causes https://t.co/zrUHYrBf5c#Burundi pic.twitter.com/2RfwN11wfN
Pour ces deux adolescents, le port de pêche constitue un lieu de travail. Là, ils s’adonnent à de petits boulots offerts par les pêcheurs en retour de quoi ils sont rémunérés en poissons. Par jour, indiquent-ils, les gains sont de l’ordre de 3.000 Fbu. « Avec de tels jobs, les enfants de cette localité sont attirés par la pêche que par l’école », regrette Ntampera Isaïe, un habitant rencontré sur les lieux.
Plus loin à Rutana, le même appât du gain fait partie des grandes causes derrière les abandons scolaires. Cette fois-ci, ce sont les travaux champêtres qui sont mis en cause. A Bukemba, une plaine rizicole de Bugiga a été même baptisée « Somalie », allusion aux militaires envoyés en Somalie pour la mission de maintien de la paix et qui gagnent mieux que les salaires offerts au pays.
Dans cette plaine, les jeunes gens travaillent pendant le piquage et le gardiennage des champs contre les oiseaux ravageurs. Selon les habitants de cette zone, les gardiens sont payés 1.500 Fbu l’heure tandis que pour le labour, un journalier gagne jusqu’à 9.000 Fbu quand il travaille du matin à 13 heures.
Le désintéressement aussi
A part la précarité des familles ou bien le recours à de travaux rémunérateurs ou bien même l’émigration vers les pays voisins dans les zones transfrontalières, certains élèves quittent l’école par simple désintéressement.
A l’école fondamentale de Murama-Rugwe de la même commune de Bukemba, pour une moyenne de 100 élèves qui commencent la première année, seuls 20 tiennent le coup pour arriver jusqu’en 9ème année, fait savoir Marcus Munezero, le directeur de l’établissement.
Pour cet éducateur,l’école est actuellement gratuite. S’il arrive de solliciter les contributions des parents pour certaines dépenses de l’école, ces frais sont minimes : « Les frais pour la prise en charge d’un enfant de l’école fondamentale quand il a déjà ses cahiers et uniformes sont minimes. Ils ne devraient pas constituer de prétexte pour certains parents », observe Marcus. »
D’autant que, ajoute-t-il, les récoltes sont souvent bonnes dans cette région du pays. Et de poursuivre : « Certains élèves manquent plutôt de modèles qui puissent les inspirer et se démotivent très tôt. » D’ailleurs, les cas d’abandons scolaires sont peu nombreux en milieu urbain, précise Immaculée Ndayishimiye, un parent de Rutana centre.
Dans le même sens, Grégoire Bambonyirugu, un parent voisin de cette école de Rugwe témoigne : « Moi, un de mes enfants a failli abandonner les études sans motif à cause de l’influence de ses amis. Je l’ai vite envoyé à Bujumbura chez son grand frère et, maintenant, il continue l’école sans problème. »
« Il faut revisiter la réglementation scolaire… »
Pour analyser et résoudre la question d’abandons scolaires, David Ninganza, président du comité national des parents, recommande une étude de base et approfondie. En effet, explique-t-il, la déscolarisation des enfants peut être causée, soit par les parents, les enseignants, l’environnement (comité des parents, autres structures communautaires,…) la réglementation, les facteurs socioéconomiques, etc. L’étude dont parle Ninganza analyserait alors les causes les plus profondes des cas d’abandons scolaires dans leur diversité et ainsi d’établir les responsabilités et enfin trouver des solutions.
Sinon, note-t-il, les rapports habituels élaborés par les directeurs des écoles sont conçus sur base d’un canevas lacunaire qui n’épuise pas les causes réelles d’abandons et surtout, qui ne propose pas la voie par laquelle passer pour faire retourner l’enfant à l’école. « Il faut revisiter la réglementation scolaire, car, à un niveau donné, celle-ci déscolarise les élèves », déclare Ninganza.
Par exemple, explique David Ninganza, le règlement scolaire stipule qu’une élève qui subit une grossesse non désirée retourne à l’école 12 mois après alors que l’année scolaire ne dure que 10 mois. Cela suppose que cette élève doit attendre deux ans pour retourner à l’école. La loi réprimant les VBGs quant à elle, veut que l’enfant victime d’une grossesse soit réintégrée le plus rapidement possible. Dans ce cas, le règlement prime sur la loi tout en pénalisant la victime alors que ça devrait être le contraire.
Pire encore, déplore Ninganza, le règlement scolaire en vigueur stipule aussi qu’un élève attrapé en plein ébats sexuels avec son enseignant pour des intérêts liés à sa note de classe soit directement renvoyé de l’école. La loi qui était censée protéger l’élève devient celle qui le chasse.
✍???? La jeune élève récemment violée par son professeur du Lycée Urbain de #Ngozi a été renvoyée de l'école par le conseil professoral ce 22/03/2023 (annulation de l'année scolaire)
— Jimbere (@MagazineJimbere) March 24, 2023
☹️ Les parents de la fille déplorent "une double punition injustement imposée à la victime"… https://t.co/dDWLLtoGPr pic.twitter.com/HLy8gOXaoQ
Les limites du programme des cantines scolaires
Quant au programme des cantines scolaires pour pallier le problème de la faim, « cela ne constitue qu’une solution intermédiaire » selon Jean Samandari, président de la Coalition « Bafashe bige ». Pour lui, l’encadrement des élèves par leurs parents et les enseignants devrait être renforcé, sans oublier le développement des familles. Par ailleurs, ce programme se heurte parfois à des contraintes de ruptures de stock. Il nécessite également d’être bien étudié pour définir sa pérennisation au cas où les bailleurs de fonds décideraient de quitter.
Selon Liboire Bigirimana, Directeur national du Programme National des Cantines Scolaires (PNAS), ce programme a été validé et endossé par le Gouvernement du Burundi le 14 novembre 2018. Il permet de distribuer des repas à plus de 650.000 élèves dans 846 écoles fondamentales. Le Gouvernement du Burundi appuie le projet à hauteur de 4,8 milliards de Fbu et le financement restant est mobilisé par le PAM auprès d’autres bailleurs comme les Pays Bas, le Japon, la Russie, la Principauté de Monaco, la Rockfeller Foundation, la Banque Mondiale et le Fonds Mondial de l’Education.
Les ruptures des stocks qui arrivent parfois sont dues à plusieurs facteurs dont notamment le processus d’importation des vivres par le PAM qui prend beaucoup de temps. Pour juguler ce problème, le Ministère de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique en collaboration avec le PAM sont en train d’initier une approche des achats décentralisés. Par cette dernière, on va transférer les fonds aux DPEs dans le but de les responsabiliser à acheter les vivres auprès des producteurs proches regroupés en associations et coopératives de production.
Cela permettra alors de lier la cantine scolaire à la production locale pour asseoir une solution endogène qui participe à la promotion des indicateurs scolaires et économiques des agri-éleveurs.
Concernant l’extension du programme, c’est la vision du Gouvernement d’étendre ce programme dans toutes les écoles du pays, et l’extension devrait être progressive en fonction de la disponibilité des moyens financiers.
Selon l’Unicef Burundi, la population scolarisable, estimée à 5,1 millions en 2010, a augmenté à un rythme moyen annuel de 2,1 %, pour atteindre près de 6,4 millions en 2020. Si ces tendances se confirment, le nombre d’enfants à scolariser atteindra 7,3 millions en 2030. Des efforts supplémentaires doivent être engagés pour garantir à la jeune population burundaise, des conditions d’apprentissage qui, non seulement, leur donnent accès à une éducation de qualité, mais aussi les attirent afin de ne pas abandonner à mi-chemin.