Face à la complexité des violences sexuelles basées sur le genre, l’indemnisation des victimes s’impose à côté d’autres mesures pénales. C’est le combat de l’association Jijuka grâce à l’appui de l’ONG Amplifychange…
Dans le cadre d’appuyer le plaidoyer pour la révision de la loi du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des VSBG, en tenant compte de l’indemnisation des victimes et survivants, l’association sans but lucratif Jijuka grâce à l’appui de l’ONG Amplifychange plaide pour que ce fond d’indemnisation puisse voir le jour.
Pendant que les violeurs se la coulent douce, constate Jijuka, le nombre de victimes de VSBG va crescendo, et les circonstances de plus en plus aggravantes. Certaines victimes sont battues, mutilées, d’autres sont tout simplement tuées. D’où la nécessité d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Elle s’appelle O.N. C’est à peine si elle peut marcher. Même pour témoigner pendant 10 minutes, elle doit s’adosser à un mur. Cette fragilité, elle la doit à la rétivité de son mari. Pourtant, comme tout le monde, elle s’est mariée légalement à l’homme de sa vie en 2010. Elle a eu 5 enfants sur une période de quatre ans et demie, parce que son conjoint n’a jamais été d’accord pour qu’ensemble ils espacent les naissances. Etant donné que les accouchements ne se passent pas tous de la même façon, le 5ème a été le plus compliqué, et lui a causé un aveulissement que son mari n’a pas supporté : elle a connu une déchirure totale, et après les points de suture que lui a fait le Docteur, son mari n’a pas su être docile, le temps que sa plaie se cicatrise, il la violait sans pitié, et fréquemment, malgré les supplications de sa pauvre femme.
Des victimes incomprises
Pour lui, c’était son dû, et il usait de sa force, la battait à mort, menaçant de la tuer au pistolet à chaque fois qu’elle essayait de le repousser. Par conséquent, la plaie s’est infectée, mais elle n’avait personne pour la secourir. Un matin, cette routine de mutinerie a rompu son sphincter, et O.N. s’est évanouie après cette abdication. Pendant qu’elle gisait par terre, dans une mare de sang, son mari est parti la laissant sans défense. Par hasard, des voisins passant par-là l’ont vue, sont intervenus. L’association Giriteka l’a alors transféré d’urgence au centre Humura. Elle a donc dû être réopérée, et à un prix très exorbitant. A son retour à la maison, elle a dû porter plainte, soutenu par Giriteka. Son mari incarcéré, ça a été le tour de l’entourage de la torturer. « Je ne crois pas qu’il paiera l’indemnisation à laquelle la justice me donne droit. Avant d’entrer en prison, il a juré qu’il reviendra un jour, et me tuera le bon matin de sa libération », souffle-t-elle.
Pour son entourage aussi, O.N. n’est qu’une narcissique. Elle n’aurait jamais dû porter plainte contre son mari. Ils l’injurient tous, la stigmatisent tellement qu’aujourd’hui elle n’a personne de son côté : « J’ai toujours peur pour moi, et pour les enfants. Je devais retourner à Gitega pour les soins, mais je n’ai personne qui prendrait soin de mes 5 enfants durant mon absence », regrette-t-elle.
Le temps de changer les choses
O.N n’est pas la seule victime de ce genre de violence, leurs enfants subissant le même sort. Elle a osée lever la voix pour crier non à la violence en rendant son témoignage afin que les autres aussi puissent briser ce silence, mais elles sont nombreuses les femmes qui subissent plusieurs formes d’injustices, qui sont battues, tuées. La plupart d’entre elles sont réduites à la résignation. La raison est simple, bien que ce soit une triste réalité : patriarcale qu’elle soit, notre société banalise ces violences. Cela implique que ces femmes se sacrifient pour leurs enfants, ou par crainte de retombées, jusqu’à y laisser la vie. Que faire alors pour y remédier ?
Jean Pierre Sakaganwa, représentant légal de l’Asbl Jijuka plaide pour qu’un fond d’indemnisation soit créé dès que possible, surtout pour cette catégorie de victimes qui semble être souvent oubliée : celle des enfants survivants victimes des VSBG, celles qui deviennent impotentes et qui n’arrivent plus à garantir leur autonomie financière. Ce qui par conséquent les maintient à la merci d’autres violences, comme dans un cercle vicieux.
Selon lui, il est temps que les choses changent ! Son souhait est que ce fond soit immédiatement créé car il sauverait aussi les enfants des victimes qui voient leur vie se détériorer, leurs mères devenues incapables de prendre soin d’eux.
Lutte contre les VSBG, au-delà des paroles…
Pour Mme Christine Mbonyingingo, experte en genre et professeure d’université, l’on devrait intégrer la lutte contre les VSBG dans les institutions étatiques dans une synergie, pour mettre fin à l’impunité : « Si les bureaux de genre étaient bien financés, et les centres de réhabilitation fonctionnels, il y aurait un suivi rapide des engagements, des mécanismes d’alerte précoces, les rapports et documentations des cas et une justice rapide et efficace seraient à l’honneur. » Et de marteler : « Le protocole 7 de la déclaration de Kampala devrait être réétudié, mis à jour et être appliqué, pour sauver ces victimes avant qu’il ne soit trop tard. »
Me Bigirimana Alphonsine, avocate pense que même si la loi contre les VSBG contient plusieurs innovations et améliorations, sa mise en application pose problème : « L’indemnisation des victimes prend trop de temps, car les oppresseurs y mettent peu de volonté bien que ce soit le droit des victimes d’être indemnisés. » La mise sur pied de ce fond, plaide-t-elle, matérialiserait le chapitre qui n’a pas été adopté dans la loi contre les VSBG promulguée en 2016, mais qui était très nécessaire pour la prise en charge holistique, et la réinsertion socio-économique de victimes survivantes des VSBG, pour une amélioration considérable de leur condition. Elle dit espérer voir pour bientôt ce chapitre figurer dans la loi contre les VSBG, que la loi budgétaire soit revue, et qu’il y ait une partie de fonds dédiée à l’indemnisation rapide des victimes. « J’espère aussi que les parties concernées, surtout les organisations œuvrant dans ce domaine, soient sensibles à cette cause, et que les burundais en général contribuent pour que ce fond voit le jour » conclut-elle.