Le clip « Korayo« qui vient d’être publié par Olègue Baraka cartonne déjà dans les quartiers et accumule des vues sur Youtube. Pourtant, la chanson fait explicitement l’apologie du proxénétisme…
D’abord nous avons contacté l’artiste, pour être rassuré sur sa pleine conscience de la teneur de son texte. Réponse d’Olègue: « Je vais m’exprimer plus tard. Pour le moment, j’observe les réactions du public ».
Ensuite, nous sommes revenus sur la dernière sortie de l’enfant terrible de la musique urbaine burundaise. Comme toujours, il n’a pas tiré à blanc.
Dès les premières secondes de la chanson, pas de précautions oratoiresː «Nakije ibeni, eh’iboro z’ibeyi, iwanje nta bintu vy’ideni, sohoka rero ugure ibebi »… « « Je t’apporte des minettes dans mon camion à benne , elles sont de qualité, pas de dette chez moi, alors sors et achètes-en une. » et puis peu après il dit « Za demu, za demu muragura ? » – « Voici les filles, est ce que vous les achetez ? »
De tels propos chantés dans une ville où l’on a récemment découvert une cache d’une centaine de femmes/filles en attente d’embarquement, une telle chanson dans un pays épinglé pour le trafic humain, ne peut passer inaperçue.
Une chosification dénoncée
Les réactions sur les réseaux sociaux ont été promptes pour dénoncer la chosification des femmes dont il est surtout question dans cette chanson.
Le chanteur gospel Fabrice Nzeyimana a fait recours à Facebook pour exprimer son dégoûtː « Si ce message est toléré que personne ne vienne demain crier au viol ou à l’exploitation de la femme. Non, nos sœurs et nos filles ne sont pas des objets à vendre. Ce sont des humains qui ont droit à leur intégrité morale et physique. Que personne ne dise que cela c’est de l’art ! »
Les réactions de soutien n’ont pas manqué.
Juste kubera ari umuririmvyi w'iwacu vous faites les choqués iyaba ar uwo hanze am challenge aba agez kure…iy niy hypocrisie y'abarundi #burundi @g_olegue
— KoLLy (@philip_kolly) December 22, 2020
De la volonté de se faire démarquer, quitte à être vulgaire ?
Comme le rappelle l’écrivain Roland Rugero, l’artiste à l’ère de YouTube, Instagramm et Spotify est constamment à la recherche du clic: « … nous devons faire face à la réalité de l’industrie musicale mondiale: le sexe vend. Plus le texte est cru, plus il est transgressif, plus le clip est suggestif, plus les vues augmentent, plus les plateformes de diffusion ont des visites, plus il y a de la publicité, plus l’économie se porte bien, d’autant plus que la consommation individualiste sur ces plateformes ne requiert pas de nous grouper, COVID19 oblige ».
Cette course à la recherche de la visibilité donne naissance à toutes les formes d’exhibitionnisme, privant par exemple à l’art musical la subtilité poétique qui permet d’atténuer l’évocation du sexe, des maux et/ou des tabous de nos sociétés.
Et cela se comprend: Olègue, la vingtaine, se nourrit musicalement du dancehall jamaïcain et du rap commercial américain, dont les thématiques tournent essentiellement autour d’une vision phallocratique de la société et du désir, avec son corollaire de chosification féminine…
Il y a un peu plus d’une année, la comédienne burkinabé Odile Sankara commentait la vitalité du théâtre burundais en mettant en garde sur la capacité des jeunes à enrober leurs créations pour en faire véritablement des œuvres d’art: « Que ce soit sur l’immigration, le viol, la prédation capitaliste, les défis environnementaux ou les autres maux de la société burundaise, les jeunes peuvent toujours les dénoncer, mais autrement, en s’appuyant justement sur la forme ».