43 ans après son adhésion au marché commun de l’Afrique de l’est et australe (Comesa), le Burundi semble ne pas tirer pleinement profit de cette organisation économique qui rassemble 23 pays du continent. Au moment où il en assure actuellement la présidence tournante, l’heure est à l’introspection…
Le Comesa a été créé au départ en 1981 en tant que Zone d’échanges préférentiels des États de l’Afrique orientale et australe (ZEP), dans le cadre du Plan d’action de Lagos et de l’Acte final de Lagos adoptés par l’Organisation de l’unité africaine (OUA). La ZEP a été transformée en Comesa en 1994. Elle avait été mise en place dans le but de tirer parti d’un marché plus vaste, de partager l’héritage et le destin communs de la région ainsi que de permettre la coopération sociale et économique.
Pour Faustin Ndikumana, président du Parcem, le Burundi avait été actif lors de la création de la ZEP. Il affichait un dynamisme à l’époque. C’est pour cela que selon lui, Bujumbura avait été choisi pour abriter le siège de la banque de la ZEP. « Le Comesa, c’est une organisation à vocation d’intégration régionale, qui a une ambition de faciliter les échanges, le mouvement des personnes sous forme de marché commun. Il a même l’ambition de devenir une union économique, même politique. Mais je crois que cela pourra être réalisé dans les années à venir », explique-t-il.
Néanmoins, le Comesa est gêné par son étendue géographique, signale Faustin Ndikumana. Pour lui, c’est une organisation d’intégration régionale très vaste au niveau de la superficie, affichant ainsi une hétérogénéité des pays membres. « Certains sont pauvres, donc moins avancés, d’autres sont à revenus intermédiaires. Il y a risque de continuer à constater une intégration à deux vitesses », déplore-t-il.
L’autre défi est qu’il y a beaucoup de crises politiques dans certains pays membres du Comesa, rappelle cet acteur de la société civile, notamment la crise politique entre le Rwanda et le Congo, le Burundi et le Rwanda, l’Erythrée, l’Éthiopie & la Somalie. Malheureusement, regrette Mr Ndikumana, le Comesa s’inscrit hélas aux abonnés absents au moment de la résolution de ces crises, alors que dans ses vocations, il y a l’établissement d’une paix véritable dans les pays membres.
Faustin Ndikumana trouve aussi que la visibilité du Comesa est menacé par l’appartenance de ses plusieurs pays membres aux autres organisations sous régionales qui risquent de lui voler la vedette, comme l’IGAD au nord, l’EAC, ou encore le SADEC.
Le Burundi toujours à la traine…
Les défis politiques et économiques ont limité le Burundi à tirer pleinement profit des avantages de l’intégration, observe l’économiste Diomède Ninteretse. En effet, le Burundi a rejoint le Comesa en 1983, une époque où l’organisation était encore en phase de consolidation et d’expansion. Toutefois, indique Mr Ninteretse, pendant une grande partie de cette période, le Burundi a été marqué par des crises internes, notamment la guerre civile de 1993 à 2005.
Pour lui, l’impact de cette crise n’a pas facilité l’intégration du Burundi dans cette organisation. « Le Burundi a eu quelques avantages, mais très limités par rapport à l’ensemble des pays membres, parce qu’il est, jusqu’à présent, placé parmi les pays les plus pauvres, même de la région, des membres du Comesa. Il faut voir aussi le manque des infrastructures, la problématique de la croissance économique. Tout cela montre que le Burundi n’a pas tiré beaucoup plus d’avantages », pointe-t-il.
A titre illustratif, poursuit cet économiste, la croissance économique est maintenant estimée à 2 %, l’inflation est à 30 %, le taux de chômage est estimé à plus de 40 %, ainsi que le taux de la malnutrition qui avoisine 40 %. Pour Mr Ninteretse, l’entrée dans le Comesa pouvait faciliter le commerce régional, d’autant plus que ce marché compte plus de 500 millions de consommateurs. Malheureusement, il faut avoir des biens & services à exporter, et ce n’est pas le cas pour le Burundi. « Il y’a une certaine décroissance de la production, même pour les produits qu’on avait tendance à exporter, notamment le thé, le café, le coton », regrette-t-il.
Ces défis, analyse Mr Ninteretse, ainsi que les obstacles structurels, les insuffisances en matière d’infrastructures, une forte instabilité politique, une économie largement dépendante de l’agriculture de subsistance, continue de limiter les bénéfices concrets de cette intégration.
Des opportunités à saisir avec des pincettes
Pour que le Burundi puisse réellement tirer profit de cette appartenance à la Comesa, il devra surmonter ces défis en augmentant la production du thé, du café, mais aussi en diversifiant les produits d’exportation comme les minerais, le poisson, recommande l’économiste Diomède Ninteretse. « Le Burundi devrait prendre des réformes nécessaires pour assainir l’environnement des affaires, renforcer la bonne gouvernance afin de créer un environnement favorable aux capitaux étrangers, aux investisseurs étrangers qui pourraient provenir du Comesa. »
Quant au facilité d’échange entre le Burundi et la RDC, avec le régime commercial simplifié visant à réduire les obstacles administratifs et logistiques au commerce, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, ainsi que de favoriser la fluidité des échanges intra régionaux, l’économiste Ninteretse encourage l’autorité politique à continuer à échanger sur les véritables barrières : « Parce que si on n’avance pas dans ce sens, on ne va pas avoir des ambitions se concrétiser, car effectivement il y a des spéculations des uns des autres, bien qu’avec la réduction des barrières commerciales simplifiées, on voit qu’il y a la croissance, l’accroissement de la compétitivité des entreprises…», souligne-t-il.
Pourtant, prévient Faustin Ndikumana, président du Parcem, le Burundi devrait faire des efforts au niveau de la production intérieure pour éviter le risque de pénurie des produits sur le marché local. « Si on se lance dans l’exportation des produits aussi bien dans d’autres pays de l’est et du nord, alors que la production au niveau local n’est pas assez satisfaisante, on risque de voir l’inflation augmenter. »
Pour Mr Ndikumana, être membre de plusieurs organisations sous régionale représente des avantages et des inconvénients. Le fait d’avoir des relations avec l’Est anglophone et l’Ouest francophone donne au Burundi un avantage au niveau de cette intégration régionale. Néanmoins, dans ce cas, il y a l’exigence de beaucoup de cotisations pour lesquelles des pays aux moyens limités comme le Burundi ne peuvent pas s’acquitter comme il faut. « Surtout que le Burundi a des arrières importants au niveau de la cotisation dans certaines organisations régionales, il faut des analyses et des études approfondies pour démontrer les avantages et les inconvénients de son appartenance au Comesa, à l’EAC, à la CEPGL, à la CEEAC, à la CIRGL, pour ne pas disperser les efforts, et d’arrêter d’adhérer de façon aveugle, sous forme d’amateurisme », conclut-t-il.