Un projet de loi relatif aux règles et procédures de transplantation d’organes, de l’autopsie et la dissection des cadavres humains pour l’enseignement et la recherche scientifique a été adopté le 17 avril dernier par le Gouvernement. La population est-elle prête pour ces pratiques?

Ce projet fait suite aux recommandations formulées après la 3ème inspection de la Communauté Est-Africaine effectuée en novembre 2022, dont la principale demandait au Burundi de veiller à ce que chaque école de médecine ait un laboratoire d’anatomie, comme l’exigent les directives de la formation médicale et dentaire dans les pays membres de l’EAC.
Mais des questions et non des moindres demeurent face à cette situation. Les Burundais sont-ils préparés pour une telle réforme ? Quels sont les enjeux derrière cette entreprise ?
Avant tout, il y a un besoin: faute de moyens et d’infrastructures, le Burundi promeut des docteurs qui maîtrisent beaucoup plus la théorie que la pratique. Selon Dr Aimable Ndayizamba, qui vient tout juste de défendre sa thèse doctorale, palper les organes est plus vivant que mémoriser une théorie: « Ce que tu as vu, touché, est difficilement oubliable. Il y a toujours un sentiment d’inachevé en clôturant la formation sans cette expérience pratique suffisante. Ce serait bénéfique si ce projet était réalisé au Burundi. »
Anniella, étudiante doctorante à l’université Hope of Africa abonde dans le même sens : « Cela aide beaucoup à comprendre l’anatomie humaine. Par exemple toucher une artère rend l’exercice de notre métier plus facile, que de le voir sur des images, ou des vidéos. On n’est jamais sûr de sa précision. »
Une loi attendue
Quant à Joëlle, étudiante également dans la même faculté de médecine en 6ème année à l’université du Burundi, l’anatomie est la base de l’apprentissage: «Nos professeurs dessinent ou ramènent des mannequins pour nous aider à voir les mesures des organes, ou sur des vidéos afin que nous comprenions mieux. C’est tout ce qu’ils peuvent. Ensuite nous allons pratiquer sur terrain. C’est quelque part dangereux pour nous d’apprendre sur des personnes vivantes. Dangereux pour les patients aussi », complète-t-elle.
Pour elle, il faut vraiment que ce projet se réalise pour l’intérêt des étudiants, futurs médecins, dans les délais raisonnables: « Les promesses de réforme formulées depuis plusieurs années seraient enfin appliquées. »
Cependant, Joëlle se pose la question quant à la perception de la communauté burundaise face à cette innovation, et tout ce qu’il faut pour la réalisation de ce projet. Elle reste sceptique par rapport à la faisabilité.
Prêts, à certaines conditions…

Une préoccupation partagée par Dr François Nduwimana, chirurgien au Centre Hospitalo-Universitaire de Kamenge pour qui, beaucoup de paramètres entrent en jeu pour une possible réalisation des activités de transplantation d’organes: « Il nous faut des médecins spécialistes en la matière avec une grande expérience, capables d’expliquer le concept comme il faut, et capables de bien préparer le terrain pour l’arrivée de cette innovation. »
Ensuite, poursuit-il, il faut un laboratoire doté d’un équipement capable de permettre la conservation des organes, acheter des réactifs et produits de conservation, des généticiens capables de maîtriser la compatibilité et l’absence de risque de contamination d’autres maladies entre le donneur et le receveur, afin de contourner le rejet de greffe, etc.
Un grand renforcement de capacité sera aussi indispensable à l’endroit des chirurgiens burundais: « C’est un projet qui exige une grande minutie dans sa préparation, et qui demande beaucoup de moyens. Ce serait vraiment bénéfique si le Burundi s’était préparé de cette manière.»
Une préparation psychologique s’impose
L’autre volet, souligne le Dr Nduwimana, est de préparer psychologiquement les Burundais. Vu le niveau moyen de vie de la population, craint le chirurgien, certains pourraient exiger d’être payés avant de faire don de leurs organes, alors qu’en principe le don d’organe ne doit en aucun cas se faire pour des fins lucratifs.
Une politique de la loi portant sur ce projet devrait être adoptée, ainsi qu’une loi autorisant la dissection des cadavres soit mise en place, car celle-ci pourrait être facilement réalisable, si les Burundais sont prêts psychologiquement. Selon le docteur François, la meilleure stratégie est de leur faire comprendre la grandeur de cet acte charitable, et de leur montrer que leur organe pourra sauver la vie d’autres personnes.
Conclusion: si la dissection peut commencer, le programme de transplantation d’organes devrait attendre un peu.
