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Cibitoke : des commerçantes confrontées au manque de carburant et à la fermeture des frontières

Cibitoke est connue pour sa production agricole abondante qui autrefois permettait à ses voisins de s’approvisionner en produits locaux. Mais la pénurie récurrente du carburant et la fermeture des frontières plombent le commerce transfrontalier, surtout chez les femmes. Reportage.

Nous sommes au chef-lieu de la province Cibitoke, au nord-ouest du Burundi. C’est une journée comme tant d’autres dans cette région de la plaine de l’Imbo. Beaucoup de soleil, une chaleur suffocante et de la musique dans tous les kiosques. Malheureusement, les commerçantes du coin semblent désespérées. Toutes pointent du doigt le manque de carburant qui bloque l’activité commerciale.

En effet, Cibitoke partage la frontière avec la République Démocratique du Congo et le Rwanda à travers les communes Rugombo, Mabayi et Bukinanyana. Par son commerce transfrontalier, les affaires marchaient bien en temps normal comme le rapporte une vendeuse d’aubergines rencontrée au marché de Rugombo : « Avant j’arrivais à midi avec déjà des clients de différentes localités, mais à cause de cette pénurie de carburant les clients qui venaient de Mabayi, Nyeshenza, Ndava et Nyamitanga arrivent au compte-goutte car ils ne peuvent pas faire de bénéfices avec les frais de déplacement revus à la hausse. Ceux qui venaient de la RDC ne peuvent non plus venir car les frontières sont fermées. Si on pouvait les ouvrir au moins du côté de Ruhwa et de Rusizi, ce serait une aubaine pour nous ! »

Edith Irankunda, représentante de l’Association des Commerçants Transfrontaliers (ACTF) corrobore ces propos : « Actuellement les commerçant sont obligés de travailler à perte. Avec cette pénurie du carburant, nous ne sommes pas épargnés. Ça représente pour nous un grand défi car nous manquons de moyens de transport pour acheminer nos produits sur différents marchés ».

Le commerce des fruits et légumes presqu’à l’arrêt 

Jeanette Nishimwe vend des tomates. Selon elle, ce commerce ne rapporte plus par manque de carburant : « Avant on pouvait les exporter vers le Rwanda, la RDC ou vers Bujumbura et les grossistes pouvaient les écouler très rapidement mais aujourd’hui les affaires sont à l’arrêt rien car même les commerçants de Bujumbura ne viennent pas. »

C’est la même préoccupation chez Gérardine Hakizimana, vendeuse de mangues, d’oranges et de mandarines à Bujumbura mais résidant à Rugombo : « Avant je payais 10.000 BIF pour transporter des sacs de fruits à Bujumbura, mais pour le moment je paie 15.000 BIF en plus des taxes. Au regard des dépenses faites, je ne gagne que 3.000 BIF seulement par sac ».

N.A qui vend les aubergines renchérit : « Il y a peu, le véhicule était payé 4.000Fbu pour transporter nos produits mais aujourd’hui c’est 15.000FBU. Parfois nous manquons ces véhicules car les chauffeurs nous disent qu’ils n’ont pas assez de carburant. Nous ne gagnons presque rien. Les autorités devraient plaider pour nous pour qu’il y ait du carburant et nous permettre d’avoir quoi nourrir nos familles ».

Selon Edith Irankunda, à peu près 600 femmes travaillaient spécialement dans le commerce transfrontalier sur les frontières de Mparambwe, Rubenga et celle de Ruhwa mais avec la fermeture des frontières, cela ne leur facilite pas la tâche. Elles sont obligées de travailler localement alors qu’auparavant elles pouvaient aller ailleurs et conquérir d’autres marchés et gagner plus.

Les répercussions sur le commerce plus qu’évidentes

La Représentante de l’Association des Commerçants Transfrontaliers est catégorique : « Par exemple, les fruits pourrissent car nous manquons de moyens de déplacement des champs vers les marchés. Approximativement, je pouvais avoir 5.000 BIF par sac mais aujourd’hui je ne gagne qu’entre 1.000 et 2.000 BIF ».

La première conséquence de la fermeture des frontières couplée au manque de carburant est la mévente des produits locaux qui deviennent abondants sur le marché, alors que les clients sont peu nombreux contrairement à la période d’avant où les commerçantes vendaient leurs marchandises dans différentes localités. Cela leur procurait un gain significatif en fonction de la force investie.

Pourtant une activité qui jadis était une aubaine

Le commerce local et transfrontalier des femmes de Cibitoke a longtemps été considéré comme poumon de l’économie de la province. Les ménages ont longtemps profité de ce commerce pour s’épanouir, à l’instar de Judith Irankunda : « Grâce à ce commerce, nous donnons un coup de main à nos époux en ce qui concerne la scolarisation des enfants, l’habillement et les besoins élémentaires dans nos ménages respectifs ».

Pour N.A, elle pouvait éduquer ses enfants, les nourrir grâce à son commerce, mais tout cela n’est plus possible. Certains enfants ont abandonné l’école faute de frais scolaires, d’uniforme, etc : « Il est difficile pour moi de continuer à les envoyer à l’école car la vie est devenue chère. »

Quant à Gérardine Hakizimana, ce commerce l’a aidé à éduquer ses enfants de l’école primaire jusqu’à l’université. Elle signale que grâce à ce commerce, elle peut bien manger et entretenir sa santé fragile : « Je suis aussi diabétique et je trouve mon régime grâce à ce commerce. Mais avec le changement, nous n’avons plus de bénéfices. La fois passée, j’ai perdu 5 sacs de mangues à cause d’une panne de voiture, et je n’ai pas pu en trouver d’autre pour me dépanner. Ce n’est qu’après une journée que j’ai reçu un autre véhicule. »

Selon Judith Irankunda, pour que les femmes qui exercent le commerce transfrontalier puissent continuer à progresser, il faut l’ouverture de la frontière Rubenga pour aller à l’extérieur du pays, car cela leur permettrait d’exporter leurs produits et d’en importer d’autres nécessaires localement, sans oublier les impôts et les taxes qui seraient versés dans les caisses de l’Etat.

Elle demande à l’Etat de fournir des efforts pour disponibiliser le carburant afin de faciliter la circulation des produits. Gérardine Hakizimana dit qu’elles sont approximativement 200 femmes à Cibitoke et à Rugombo à transporter les marchandises vers la capitale économique : « Si nous demandons aux chauffeurs de nous conduire à Bujumbura, ils nous disent qu’ils n’ont pas de carburant. Nous implorons l’Etat pour que le carburant soit disponible. »

La nécessité de s’adapter

Le Gouverneur de la province Cibitoke est conscient des difficultés auxquelles font face les femmes commerçantes de Cibitoke. Pour Carême Bizoza, il faut que les gens apprennent à s’adapter en cas de situation difficile : « Celui qui se casse la jambe apprend à marcher avec des béquilles. Les commerçants se lamentent que la vente n’est pas suffisante dans cette situation d’inflation, mais ils doivent s’adapter. »

Concernant la fermeture des frontières, il est d’avis que le nombre de clients a baissé car les étrangers venaient aussi s’approvisionner en produits locaux, surtout les Congolais. Mais, prévient-il, « l’ouverture des frontières est une décision qui ne doit pas être prise par une seule partie. Nous devons discuter avec les autorités de la RDC et là je ne peux rien garantir, mais nous sommes d’accord qu’elle serait une décision utile et quand nous rencontrerons les autorités de la RDC et constaterons qu’il est crucial de les ouvrir à nouveau, elles seront rouvertes ». Et d’appeler les commerçants de Cibitoke à continuer à faire leur commerce au niveau local en attendant une issue favorable.

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