Lors de la conférence de la presse tenue le 2 juillet 2025 pour la présentation des réalisations du ministère de l’éducation ainsi que les projets de l’année scolaire 2025-2026, le ministre a annoncé un recrutement de 2 000 nouveaux enseignants pour les écoles fondamentale et post-fondamentale. D’aucuns saluent cette mesure mais la jugent insuffisante…
Alors que l’année scolaire 2024-2025 vient de s’achever, le ministère en charge de l’Education a fait état des réussites obtenues et des initiatives prévues. Cela inclut l’accroissement du nombre d’enseignants dans les écoles, en réponse à la pénurie de personnel notée tant dans les établissements d’enseignement de base, post-secondaire que dans les universités.
Ces secteurs dépendent, comme d’aucuns le savent, en grande partie d’enseignants vacataires ou bénévoles. A cet effet, 2 000 enseignants supplémentaires seront recrutés pour la prochaine année scolaire. « Nous allons tripler le nombre d’enseignants que nous recrutons habituellement pour les écoles fondamentales et post fondamentales. Auparavant, nous engagions entre 600 et 700 enseignants, mais cette année, nous allons embaucher jusqu’à 2 000 enseignants », a déclaré le ministre François Havyarimana.
Pour rappel, le 24 septembre 2024, lors d’une séance plénière à Gitega, le ministre de l’éduction François Havyarimana a annoncé un recrutement de 630 enseignants, alors que les besoins se chiffraient à 12 milles. A cette époque, seuls 642 enseignants ont été recrutés.
Des progrès malgré un contexte encore précaire
La mesure a été bien appréciée par plusieurs, qui y voient une opportunité de redynamiser la qualité de l’enseignement. Et pour cause, dans de nombreux établissements s’observe un manque criant d’enseignants, ce qui entraîne une baisse du niveau des connaissances. Parfois, un seul enseignant doit assurer les cours dans plus de trois classes, ce qui plombe la qualité de l’enseignement.
En outre, lors de la même séance, les professionnels de l’éducation avaient également souligné la carence d’enseignants spécialisés pour certaines matières dans certaines écoles, ce qui obligeait n’importe quel enseignant sans les compétences requises à assurer ces cours, avec un risque réel sur l’apprentissage. Pour ces professionnels interrogés, ce recrutement annoncé suscite l’espoir d’un changement positif malgré les besoins persistants en personnel enseignant dans le secteur.
Quant aux parents et enseignants de la province de Kayanza interrogés, ils saluent également cette annonce, affirmant que cela permettra à plusieurs de trouver un emploi et contribuera à l’amélioration des connaissances. « Il existe des disciplines qui, clairement, manquent d’enseignants. Par exemple, de la 7ème à la 9ème année, on observe des domaines qui ne sont pas enseignés de manière adéquate. Prenons le cours de sciences et technologies. Souvent, un seul enseignant est chargé de l’ensemble du programme alors qu’il n’a pas la maîtrise de toutes les domaines de cette spécialité », confie un enseignant sous anonymat. On peut espérer, se réjouit-il, qu’avec ce recrutement, chaque matière soit assurée par un enseignant spécialisé.
Un autre enseignant explique que le manque d’enseignants l’obligeait à assurer un volume horaire bien supérieur à la normale : « J’étais souvent contraint de travailler au-delà de mes heures habituelles, ce qui devenait épuisant. L’arrivée de nouveaux enseignants est une vraie amélioration. »
Un parent a salué également cette mesure, en ajoutant qu’elle permettra à certains diplômés sans emploi d’être embauchés : « Je pense que ce sera bénéfique. Les enseignants seront plus nombreux, ce qui améliorera aussi les apprentissages. »

Jean Samandari, président de la coalition Bafashebige, a aussi exprimé sa gratitude envers le gouvernement, notamment à travers le ministère de l’Éducation, pour les efforts déployés. Il a souligné qu’au cours des dernières années, environ 1000 enseignants étaient recrutés chaque année. Aujourd’hui, ce chiffre a doublé pour atteindre 2 000. Mais, bien que cette augmentation reste en deçà des besoins réels, qui dépassent largement cet effectif, ce progrès mérite d’être salué : « Malgré un déficit toujours préoccupant en personnel enseignant, cette avancée constitue une étape encourageante qui mérite reconnaissance. »
Mais, un recrutement en dessous des besoins
Le nombre d’enseignants prévus pour ce recrutement pour la rentrée scolaire 2025-2026 reste largement insuffisant, selon la Fédération Nationale des Syndicats du Secteur de l’Éducation au Burundi(FENASSEB). « Malgré une hausse par rapport à l’année précédente, les 2 000 postes annoncés ne couvrent qu’une infime partie des besoins estimés à plus de 10 000 enseignants à travers le pays », souligne Antoine Manuma, président de ladite fédération. Il rappelle que cette pénurie chronique est aggravée chaque année par les départs à la retraite, les décès et les démissions.
Il déplore la manière dont l’État fait face à ce défi. « L’État fait de recours aux bénévoles ou des vacataires, ce qui ne permet pas d’obtenir des résultats satisfaisants, car ces enseignants doivent jongler avec leur emploi du temps, puisqu’ils combinent l’enseignement avec d’autres activités pour pouvoir subvenir à leurs besoins. » Il appelle le gouvernement à agir de manière structurelle, en augmentant non seulement le nombre de recrutements mais aussi le niveau de rémunération, pour garantir des conditions de travail dignes et une éducation de qualité pour tous.
Juvénal Mbonihankuye, DPE de Kayanza, a fait savoir qu’au cours de l’année scolaire 2024-2025, cette province a connu un manque de 718 enseignants. Mais, il s’est réjoui que le nombre d’enseignants qui seront engagés ait été revu à la hausse, car bien qu’ils tentent de compter aux bénévoles, les difficultés persistent du fait que ces derniers n’ont pas encore reçu de contrat de travail.
Les raisons derrière les démissions
La pénurie d’enseignants dans les écoles s’explique en partie par les nombreuses démissions et désertions, souvent liées aux difficultés économiques du pays. Bien que la tendance touche aussi d’autres secteurs, elle est particulièrement visible dans l’éducation. Les acteurs du domaine appellent l’État à intensifier ses efforts afin de freiner ce phénomène, qui compromet sérieusement le progrès des apprentissages.
À titre d’exemple, au début de l’année scolaire 2024-2025, 15 cas de désertion d’enseignants ont été signalés dans la province de Kayanza. Bien plus, dans une lettre datée du 16 décembre 2024, adressée au ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, Audace Manirambona, recteur de l’Université du Burundi a indiqué que 118 employés ont quitté l’université au cours de l’année 2024.
Comme l’expliquent certains, le poids des dettes, la hausse généralisée des prix sur les marchés, la cherté de la vie ainsi que le fait que les salaires ne soient pas revus à la hausse combinée aux emprunts contractés auprès des banques figurent parmi les principales raisons qui poussent certains enseignants à abandonner leur poste.
Faire appel aux mécanismes incitatifs

La coalition Bafashebige a aussi ajouté que les départs d’enseignants sont constatés à tous les niveaux, secondaire, fondamental et surtout universitaire. Et cela s’explique par divers facteurs liés à la situation actuelle, notamment le coût élevé de la vie. Ce phénomène touche également d’autres institutions et entraîne des conséquences néfastes, notamment un manque à gagner pour le système éducatif. « Pour y remédier, il est essentiel que le gouvernement mette en place des mécanismes incitatifs afin de fidéliser non seulement les enseignants, mais aussi l’ensemble des fonctionnaires. » suggère M. Samandari.
Des propos corroborés par Emmanuel Mashandari, pour qui, la pauvreté qui touche le pays fait que les salaires perçus ne suffisent plus à subvenir aux besoins, ce qui pousse certains à abandonner leur travail, voire à partir à l’étranger : « Vous avez constaté que depuis l’ouverture de la voie vers la Serbie, beaucoup ont pris cette direction, car ici au Burundi, la monnaie ne cesse de perdre de sa valeur, les prix sur le marché sont en forte hausse, et les enseignants constatent qu’ils perçoivent un salaire dérisoire. » La dévaluation de la monnaie aggrave la situation, fait-il encore remarquer, ce qui pousse aussi les enseignants à quitter leur emploi parce qu’ils ne parviennent plus à subvenir aux besoins familiaux.
Que faire ?
M. Mashandari estime que le gouvernement devrait entreprendre deux actions essentielles : d’une part, chercher des solutions pour réduire la dévaluation de la monnaie ; d’autre part, revoir les modalités liées au salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG). « La première chose à faire serait que l’État étudie la question de la dévaluation de la monnaie, car si ce rythme diminuait et que la monnaie retrouvait sa valeur, les prix sur le marché baisseraient », explique-t-il.
Et d’ajouter : « Une fois que l’État constate que la monnaie a repris de la valeur, il devrait alors revoir les salaires pour les adapter aux conditions de vie actuelles. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons un problème lié au salaire minimum interprofessionnel garanti. » Le SMIG actuel, fait-il savoir, date de 1988, alors que beaucoup de choses ont changé depuis. Il propose donc que l’État en établisse un nouveau, car le SMIG indique le salaire minimum de référence permettant à une personne de vivre dignement : « C’est sur cette base que l’État devrait travailler afin de garantir que chaque travailleur dispose au moins du minimum nécessaire pour couvrir les besoins vitaux, tels que se nourrir, se loger, se soigner, s’habiller et scolariser ses enfants. »
Beaucoup saluent les efforts fournis par l’État pour soutenir le secteur de l’éducation. Bien que les fonds disponibles ne soient pas encore suffisants, une amélioration par rapport aux années précédentes est perceptible. Elles encouragent le gouvernement à rechercher activement des partenaires capables d’apporter une aide complémentaire.
Appréciation du budget dédié à l’éducation
Emmanuel Mashandari explique que la demande de 12 milles enseignants ne peut être satisfaite en raison des limites budgétaires de l’État. Mais, il reconnaît néanmoins les efforts du gouvernement, qui augmente progressivement les ressources consacrées à l’éducation.
Selon lui, même au niveau international, le développement d’un pays repose sur un investissement fort dans le secteur éducatif, car sans un appui sérieux à l’éducation, les progrès deviennent difficiles. Mashandari encourage donc l’État à poursuivre ses efforts et, en cas d’insuffisance des moyens, à s’appuyer davantage sur ses partenaires déjà engagés, ainsi que sur ceux susceptibles d’apporter leur soutien au secteur éducatif, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Il insiste aussi sur l’importance de mieux structurer la question des salaires car, les partenaires n’interviennent plus dans la rémunération, celle-ci étant désormais prise en charge par l’État : « Nous proposons que le gouvernement se consacre à la gestion salariale, tout en sollicitant les partenaires pour d’autres besoins essentiels tels que des infrastructures, des manuels scolaires, les équipements ou les laboratoires, …etc. »
Jean Samandari salue aussi positivement le budget accordé au ministère de l’éducation. « Bien que ce dernier ne couvre pas l’ensemble des besoins du secteur, son orientation générale reste encourageante. De plus, le Burundi a fait des efforts pour se conformer aux recommandations internationales, notamment celles de l’UNESCO et des Nations Unies, ce qui témoigne d’une volonté politique d’améliorer le système éducatif ». Il reconnaît toutefois que les ressources de l’État sont limitées et qu’il est impossible de concentrer la totalité du budget national sur un seul ministère, car d’autres secteurs ont également des besoins urgents.
Appel à la transparence et à une répartition ciblée
Et d’ajouter : « Il est possible de solliciter, en plus du budget national, des appuis extérieurs. L’État peut établir des partenariats avec diverses institutions internationales afin de renforcer les financements dédiés à l’éducation. Des organisations mondiales, notamment celles œuvrant dans le domaine éducatif, interviennent également à travers des programmes de soutien et d’accompagnement. »
Pour rappel, les fonds alloués chaque année au ministère de l’éducation ont augmenté progressivement, car en 2023-2024, ils s’élevaient à 499 135 287 181 BIF ; en 2024-2025, à 81 858 911 272 BIF ; et pour l’exercice 2025-2026, ils atteignent 684 518 882 994 BIF.
M. Mashandari propose que, dans le processus de recrutement, l’État utilise la voie officielle déjà mise en place à savoir la commission nationale chargée de recrutement afin de garantir la transparence. Cela permettrait à ceux qui ne sont pas retenus de comprendre que le processus s’est déroulé de manière équitable, car en l’absence de suivi, les plaintes sont fréquentes.
Et de souhaiter que les affectations d’enseignants dans les écoles se fassent en fonction des besoins réels, et non simplement selon des quotas : « Nous manquons souvent d’enseignants dans les filières scientifiques. Il arrive qu’un établissement demande un professeur de mathématiques, mais reçoive un enseignant de langues. Cela montre que le manque d’enseignants persiste. Nous souhaitons donc que les affectations soient faites en tenant compte des demandes spécifiques des écoles. »




