S’il existe un domaine qui alimente considérablement les tribunaux et cours du Burundi, c’est celui des litiges liés à la loi sur la succession. Du foncier à la garde des enfants, des biens acquis avant le mariage aux haines entre successeurs d’origines plus ou moins officielles, le thème alimente des drames familiaux au Burundi tant en milieu rural qu’urbain. Jimbere se propose de peindre sa complexité dans une histoire déclinée en quadrilogie qui commence au début des années 1970, à Bujumbura…
Embourbées dans un procès interminable, contre celui qu’un temps elles aimèrent, des femmes dont le beau sentiment a viré dans la haine, sont parfois tentées d’utiliser une arme fatale. Par ces temps troublés, il y aura toujours des hommes de pouvoir pour leur rendre service. Surtout si elles sont belles. La larme obéissante, aussi. Le propos est de les inviter au meilleur choix des armes.
Un de ses beaux jours où elle était plus bavarde qu’à son habitude, ma grand-mère ma raconta l’histoire de Vincianne, notre voisine. Dans le besoin auquel toute sa famille faisait face, cette belle rwandaise, s’était mariée contre un homme de pouvoir, Hutu de son ethnie, un directeur général. Nous sommes en 1970. Ils avaient été bénis de deux beaux enfants, quand la tourmente de 1972 fit tomber le père en disgrâce.
Comme un malheur ne vient jamais seul, du même coup, il perdit tout charme auprès Vincianne. Il avait espéré trouver du réconfort. C’est à peine si elle lui adressait la parole. Elle se mit alors à chasser de la maison tout parent du mari, qui osait leur rendre visite. Subitement ils sentaient mauvais. En grandissant, les enfants étaient orientés vers les grandes familles tutsi de la capitale, surtout celles du centre ville. Ils grandissaient.
Melchior, le pauvre, devint encombrant. Ses chemises avaient le col usé, son maigre salaire lui permettait quelques pantalons un peu usés, choisis au petit marché de l’OCAF (1). Il n’était pas rare qu’invités dans ces cérémonies de deuil ou de mariage, on admirât les belles robes de Vincianne et sa coupe de cheveux qui forçait l’admiration.
Le protocole la plaçait au premier rang, honneur oblige. Quand à Melchior, le dos courbé sous tant de commentaires, il pliait en sentant peser sur lui ces regards furtifs. Il se contentait alors d’une place à l’arrière, dans la foule anonyme.
Vincianne multipliait les contacts en haut lieu, gratifiant les admirateurs de son sourire prometteur. Le parfum faisant le reste. C’est à peine si en rentrant elle se souvenait de Melchior. Ses nombreux admirateurs se pressaient pour lui proposer le déplacement. Il arrivait toujours le premier à la maison. Quand, à son tour, elle arrivait, le plus souvent assez tard, elle frappait fort le ciment, ostentatoirement, avec ses hauts talons. Pour Melchior, c’était la plus horrible des tortures. Alors, comme pour lui signifier la nouvelle distance entre eux, elle cambrait fortement les reins. Avait-il une idée d’une ballade avec les enfants? Ces derniers lui disaient que Maman avait dit non. Il se mortifiait.
Après un contact des plus décisifs, elle décida de passer à l’attaque. Ce soir-là, Melchior aidait Aimé, le plus jeune garçon, qui livrait bataille à un exercice ardu de calcul. Elle arriva tard comme d’habitude, l’air farouche. Dans la chambre qu’ils partageaient sans se parler, elle prit les affaires du pauvre mari, et les porta dans la chambre des enfants. Elle lui dit:
Désormais tu dormiras avec les enfants!
De sa voix la plus assurée, il rétorqua:
– Tu peux quitter si tu veux, mais je ne quitterai pas la chambre que j’ai construite de mes mains.
Melchior, qui n’avait pas senti le coup venir, reprit ses affaires et les remit dans la chambre. Il s’en suivit une bousculade. Elle et lui tirant les mauvais vêtements de Melchior en sens opposés.
D’un coup, elle tomba par terre, en se tordant de douleur et de gémissements. Les enfants se mirent à pleurer. Elle appela au secours, pleurant à chaudes larmes. Elle criait à qui voulait l’entendre que le pauvre homme venait de la frapper.
Le lendemain, à la sortie des classes, Vincianne et sa sœur Marcelline attendaient les petits, destination Rohero II. C’était un nouveau quartier, qui, alors, était flambant neuf. Pour Melchior, le calvaire commençait.
Ma grand-mère marqua une pause. Aussi courte fut elle, cette pause permit à mon esprit de se transporter à cette époque que je n’ai pas connue. J’imaginai Melchior. Il s’était mis à traîner dans les bistrots. Toujours le dernier à rentrer, il se retrouvait seul la nuit, avec comme seule compagnie, Matayo, le travailleur de maison. Il arrivait souvent qu’ayant oublié de laisser l’argent pour le “pétrole”, une faible bougie rendait très bien le drame de ce visage en peine. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Quelques jours passèrent, il sut où Vincianne avait aménagé. Il se mit à rôder autour de cette belle maison, avec l’espoir qu’un jour, il verrait ses enfants accourir vers lui. Il allait les serrer dans ses bras, alors toute la peine s’en irait comme par magie.
C’était sans compter avec Vincianne, qui ne perdait pas de temps.
Une semaine après son départ, un de ses amants très haut placé avait parlé au Président du Tribunal. Un matin, à peine levé, un homme cherchait à le voir. Une enveloppe lui fut tendue. Il signa pour l’avoir reçue. Comme pour se donner une contenance, fièrement, il se dit: je la lirai le soir.
Arrivé le premier au comptoir de “chez Kamana”, il vit les habitués arriver, un à un, comme ces vaches qui, à la même heure, descendent toujours au même ruisseau. Eux avaient l’avantage, en rentrant, d’être accueillis par de joyeux visages d’enfants, une femme bienveillante.
Quand il prit connaissance du contenu de l’enveloppe, le sang ne fit qu’un tour. Elle demandait au tribunal de prononcer le divorce. A ses torts. La nouvelle Vincianne le dénonçait d’avoir tenu des réunions au domicile conjugal, avec des inconnus, pour préparer le génocide des Tutsi. Il était perdu. Ses enfants aussi.
A suivre…
________________________
(1)OCAF: Office des Cités Africaines, quartier africain, de moyen standing