Dans le clair-obscur de Kayokwe, naissait le 08 décembre 1934, Michel Kayoya, la grandeur elle-même, d’après ceux qui l’ont côtoyé. Retour sur la vie d’un homme atypique qui mit son honneur au service de la patrie, de l’Eglise et de l’humanité.
Son œuvre semble être antidatée, elle est toujours d’actualité, traverse des générations et ne se pervertit point.
Préfaçant la réédition de l’ouvrage qui rassemble ses œuvres, Joachim Ntahondereye, évêque de Muyinga décrit Michel Kayoya comme un homme de droit qui n’était pas de nature à couvrir d’une chape de plomb la véritéː « Il n’était pas l’homme à mystifier la réalité et encore moins le prêtre à jouer le rôle ambigu du clerc accommodant(…) il préférait parler à visage découvert sans jamais dissimuler ni son cœur sous des artifices ni sa pensée derrière des fausses idéologies ».
Mais qui est Michel Kayoya ?
Né à Kibumbu en commune Kayokwe de la province Mwaro, Il y fit l’école primaire et fréquenta le Petit Séminaire de Mugera puis le Grand Séminaire de Burasira. Il prit ensuite le chemin de l’Europe à Heverlee en Belgique où il etudia la théologie avant d’être ordonné prêtre le 08 juillet 1963. En 1967, il est nommé Recteur du Séminaire de Mugera, avant d’être prêté en 1970 au jeune diocèse de Muyinga où il va mettre à profit sa formation en apostolat en milieu populaire et ouvrier reçue à Lille en France pour redresser l’économie du diocèse en mauvaise posture. Réussissant sa mission avec brio, il ne va pourtant pas tarder à se faire des ennemis au sein même du clergé. Il sera d’ailleurs sommé de revenir dans son diocèse d’origine en 1972.
Une plume citoyenne sous le signe de la croix
Tout jeune ordonné qu’il était, en 1963 il va fonder le Centre Culturel de la Promotion de l’Elite de Buyogoma et va participer à la création de l’Union du Clergé Incarné, UCI en sigle qui est un organe d’animation et de concertation du clergé qui existe encore de nos jours.
En 1968, alors prêtre à Mugera, il va publier ː « Sur les traces de mon père. Jeunesse du Burundi a la découverte des valeurs » suivi en 1971 par « Entre deux mondesː Sur la route du développement ». Les deux ouvrages sont transversaux et se rejoignent sur plusieurs points. Sa volonté d’être le messager de valeur et son sens de citoyenneté sont manifestes depuis l’incipit de son premier ouvrage où on peut constater la profondeur de la pensée de cette âme charitable en ce mots ː « comme tant d’autres, je voulais être un homme, un homme de mon peuple, un homme avec mes frères, un homme pour l’humanité ». Avec une méticulosité inouïe et un soin qu’on reconnaît aux narrateurs invétérés, son œuvre est à la fois une ode et un cri adressés à la jeunesseː « Ceci est un cri qui réveille la jeunesse de nos pays l’appelle au secours pour combattre de l’intérieur le sous-développement, (…) puisse ce texte aider tout homme au développement », dit-il dans le prologue de « Entre deux mondes ». Il s’adresse également à la classe politique atteinte de « myopie sociale » en fustigeant les vices qui font que le pays ne décolle pas économiquement.
Son œuvre est fruit d’une observation attentive et d’une verve littéraire qui domptent la philosophie, le classique et la sacro-sainte théologie pour servir de trame de fond au vécu quotidien.
Habitué à prêcher, proscrire et prescrire, de par son quotidien de prêtre, son œuvre se lit comme une ordonnance médicale, le tout fantastiquement aromatisé par une dextérité littéraire à tendance poétique qui lie les visages aux paysages et plonge le lecteur dans une méditation profonde.
Il n’est pas un écrivain prétentieux épris de notoriété, il fustige d’ailleurs avec véhémence la foi de façade, une foi qui pourrit si elle n’est pas accompagnée d’œuvres. Il parle de «la religiosité » non bénéfique à la communauté cette foi qui ne se départit pas des constructions éthnisantes ou régionalistes.
Promoteur de plusieurs coopératives communautaires, tout homme d’Eglise qu’il était, son apostolat comme son œuvre a toujours su inclure l’équation de développement. À ce propos, on retiendra qu’il avait initié la formation des jeunes filles burundaise à une vie religieuse solidaire de la condition des masses paysannes. Il va s’éteindre le 15 mai 1972 assassiné. Les témoignages indiquent qu’il chantait le magnificat et d’autres cantiques jusqu’à sa dernière heure.