Alors que certaines institutions étatiques bénéficient d’un entretien minimal, la majorité des bâtiments publics burundais tombent en ruine, exposant les usagers à des risques sanitaires et sécuritaires graves. Une enquête menée à Bujumbura révèle l’ampleur de la négligence, les retards injustifiés dans les travaux, et les soupçons de corruption qui gangrènent les projets de développement. Face à cette situation, les voix s’élèvent pour exiger des comptes et appeler à une gouvernance plus responsable.
Les infrastructures publiques de l’État du Burundi sont dans un état de délabrement avancé, suscitant une vive inquiétude parmi les citoyens, les étudiants et les organisations civiles. Si certaines structures comme celles de la Mairie de Bujumbura ou de l’INSS bénéficient d’un minimum d’entretien, la majorité des bâtiments étatiques sont négligés, mal entretenus, voire dangereux pour leurs occupants.
Une descente effectuée ce 4 novembre 2025 par Jimbere Magazine dans plusieurs bâtiments publics de Bujumbura révèle des conditions alarmantes: toilettes insalubres, absence d’eau, installations bouchées ou cassées, bâtiments vieillissants non rénovés, et certains sur le point de s’effondrer. Malgré des fonds alloués pour les réparations, les travaux sont souvent retardés ou abandonnés, sans justification claire.
Des campus en ruine, des étudiants en danger
À l’Université du Burundi, sur le campus Kiriri, les étudiants vivent dans des conditions précaires. Les conduites d’eau cassées inondent les couloirs sur trois étages des dortoirs des étudiants depuis plus d’un an. L’eau s’infiltre dans les murs, provoquant la décomposition du ciment et menaçant la stabilité du bâtiment. Le rez-de-chaussée est devenu un marécage, abandonné par les étudiants.

Les toilettes sont nauséabondes et sales, certaines fenêtres sont bouchées avec des tissus faute de vitres. Les étudiants craignent un effondrement imminent. « Le ciment tombe des balcons et menace les étudiants qui passent. Si nous avions un autre endroit, nous serions déjà partis », confient-ils.
L’Office Burundais de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction, OBUHA en sigle, a effectué une visite pour évaluer la solidité des infrastructures, mais n’a donné aucune suite depuis plusieurs mois.
Les étudiants demandent une rénovation urgente et un relogement temporaire pour éviter une catastrophe. Ils appellent également l’administration universitaire à améliorer l’hygiène pour prévenir les maladies.
Sur le campus Mutanga, certaines infrastructures sont en cours de rénovation. Les bâtiments proches des zones fréquentées, comme celui de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH), ont été repeints et sont bien entretenus. De nouveaux bâtiments sont utilisés pour les cours et les réunions, et le personnel veille à la propreté.
Cependant, les structures éloignées sont négligées: hygiène déplorable, équipements cassés non réparés. Dans les dortoirs Pavillon et Trope, certaines portes sont hors d’usage, des chambres sont abandonnées et encombrées de débris. Les toilettes sont insalubres, les conduites et les installations sont endommagées et non remplacées.
Des lieux de soins devenus foyers d’insalubrité
Dans les hôpitaux publics, certaines zones comme les salles de soins et d’accueil sont propres. Mais les toilettes sont souvent défectueuses: manque d’eau, canalisations bouchées, saleté omniprésente.

À l’hôpital Prince Régent Charles, les toilettes proches de la chirurgie chambre 12, de la mutuelle et des urgences sont inutilisables. Les robinets sont hors service, les patients n’ont pas d’endroit pour se soulager, exposés à des maladies comme le choléra ou la dysenterie.
Les citoyens dénoncent le paradoxe d’un ministère de la santé négligent en matière d’hygiène. Ils demandent au président Evariste Ndayishimiye de visiter ces lieux et de sanctionner les responsables.
Milliards engloutis, chantier du BBN abandonné

Le Bureau Burundais de Normalisation (BBN) critique OBUHA pour avoir suspendu la construction de ses bâtiments dans la zone Buyenzi. Samuel Ndayiragije, directeur du BBN, déplore une perte financière importante, alors que le projet a déjà coûté plusieurs milliards. « Comparé aux infrastructures similaires dans la région, le BBN est sous-dimensionné », affirme-t-il.
M. Ndayiragije poursuit: « Les travaux sont arrêtés, les matériaux se détériorent. OBUHA doit expliquer pourquoi. Nous avons reçu 5 milliards supplémentaires pour continuer, mais rien n’avance. »
Détournements: villas privés prospèrent et les biens publics périssent
Face à la dégradation des infrastructures et à la stagnation des projets de développement, les ONGs tirent la sonnette d’alarme. Parmi elles, l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Économiques (Olucome) pointe du doigt la gestion chaotique des ressources humaines et financières au sein des institutions locales.
Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, critique vivement la Mairie de Bujumbura pour avoir dispersé ses employés dans les communes sans plan d’intégration cohérent. « Beaucoup d’entre eux traînent dans les rues. La commune compte 11 départements, chacun avec de nombreux employés, et une multitude de conseillers. Vu la taille réduite des bureaux communaux, où peuvent-ils travailler », s’interroge-t-il.

Au-delà de la gestion du personnel, M. Rufyiri dénonce le détournement des fonds destinés aux projets d’infrastructure. Il cite en exemple un bâtiment situé dans le quartier Asiatique de Bujumbura, censé devenir le siège de la commune Mukaza. En construction depuis cinq à dix ans, le chantier est aujourd’hui à l’abandon. « Au lieu de le terminer, l’argent a été détourné. Ce bâtiment est désormais une ruine », déplore-t-il.
Pour Gabriel Rufyiri, il est illusoire de parler d’avenir tant que les pratiques de corruption persistent. Il appelle l’État à reconnaître ses erreurs et à prendre des mesures concrètes: « Si nous voulons atteindre la vision 2040-2060, l’État doit agir maintenant. »
De son côté, Faustin Ndikumana, de Parole et Actions pour le Réveil des Consciences et l’Évolution des Mentalités (Parcem), voit dans la dégradation des infrastructures publiques un signe de mauvaise gouvernance et de corruption. « Les villas des dirigeants ont 6 à 8 étages, ils achètent de belles voitures V8. Mais les bâtiments publics s’effondrent sous leurs yeux », déclare-t-il.
Il ajoute: « Les équipements publics sont défectueux: eau, éclairage, routes, ponts. L’aéroport est en retard, l’Internet inexistant. Les dirigeants possèdent de nombreuses parcelles, alors que les citoyens n’ont qu’une ou deux ares. Les gens manquent de logements à louer, et les dortoirs publics sont inexistants. »
M. Ndikumana appelle à un dialogue national libre et inclusif pour que chaque citoyen puisse s’exprimer et proposer des idées pour faire avancer le Burundi.
Une ambition budgétaire en décalage avec la réalité

Malgré l’allocation de plus de 329 milliards de francs burundais au ministère en charge des infrastructures pour l’exercice budgétaire 2024-2025, destinés à la réhabilitation et à la construction des infrastructures publiques, seuls 30 % de ce budget ont été effectivement utilisés, selon Faustin Ndikumana.
Ce faible taux d’exécution soulève de sérieuses interrogations sur la gestion des fonds publics et sur la volonté politique de concrétiser les projets de développement. Pour Ndikumana, sans transparence ni responsabilité, les ambitions du Burundi inscrites dans la vision 2040-2060 resteront lettre morte.




