Un paradoxe : ceux qui veillent sur nos maisons, à la sécurité, à l’hygiène, à nos repas ou même à l’éducation des enfants n’ont pas d’histoire bien spécifique dans la tradition
Sous la monarchie, les taches domestiques à la cour royale ou chez les princes revenaient à un corpus social précis. Selon Jean Baptiste Ntahokaja dans « Imigenzo y’Ikirundi », on devait appartenir à la catégorie des Basavyi, dont Abakevyi « les cuisiniers » issus des clans des Bahutu comme Abajiji, Abahanza, Abashubi, et Abavumu. Leur rôle principal était de préparer la nourriture, abattre les vaches et bien conserver la viande boucanée (gutara inyama).
Abakamyi « les trayeurs » avaient le rôle de nettoyer les calebasses conservant le lait (ivyansi), traire les vaches, baratter le lait (guterera amavuta). Une fonction conçue comme noble. Les conditions pour y accéder étaient conséquentes : seuls les Batutsi du lignage Banyaruguru, tels les Babanda, considérés comme de « très bonnes familles » pouvaient remplir cette fonction. Les Batutsi du clan Bahima, et tous les Bahutu en étaient toujours exclus.
Les trayeurs célibataires et « sans doutes vierges », sans aucune infirmité, devaient passer souvent l’épreuve du fer chaud (Ikibabo) chez les devins de la cour Nyamuragura et Ruhobera pour vérifier leur pureté. Tous ceux qui touchaient les mamelles des vaches, tous ceux qui tenaient des veaux étaient immédiatement renvoyés, si un doute était soulevé sur leur pureté. Cette fonction était sacrée, il était interdit de se marier avant la démission. Soupçonné d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage, comme punition, le trayeur pouvait être tué.
Incoreke : elles étaient chargées de balayer la cour, de faire le lit du roi (gusasa ikirwa) et parfumer les chambres du palais par des encens. Ces jeunes filles étaient aussi chargées des soins à prodiguer aux princes.
Abakamakare : elles prenaient soin et éduquaient les enfants du roi. Elles avaient aussi le rôle de veiller sur la conservation de la nourriture dans les greniers.
Abamata : ils entouraient la reine et avaient le rôle de la déplacer sur sa chaise à porteurs. Ils représentaient aussi la reine dans ses affaires privées notamment quand il s’agissait de rendre visite à sa famille. Ils participaient même dans les travaux champêtres.
D’autres personnes ayant des fonctions domestiques peuplaient les foyers royaux ou princiers du Burundi monarchique, comme les bergers, les chasseurs ( qui devaient apporter du gibier et des peaux de léopards pour les Baganwa « princes », peaux de singe portés par Kiranga, vêtements pour les besoins de culte ainsi que les peaux servant à fabriquer les tambours ), les veilleurs (Abateramyi), ceux qui devaient nettoyer la bouse de la cour (Abakutsi), les couturiers du roi et de la reine (Abapfunditsi b’ingeyo z’umwami n’izabamikazi), etc
Mitarambo qui veillait sur la toilette du roi. C’est elle qui contrôlait ses habits et appréciait s’il est bien mis.
Les présents offerts aux domestiques royaux en guise de remerciement
Contrairement aux domestiques actuels qui sont souvent sous-estimés malgré les services rendus à leur patron, les règles étaient bien établies sous la monarchie pour récompenser chacun des domestiques selon son rang.
Pour le trayeur : normalement il atteignait l’âge de la « retraite » après avoir eu beaucoup de vaches. Le jour de sa retraite, c’était le pactole! Il recevait des mains du roi : une vache laitière et un taureau, une calebasse dans laquelle traire le lait et une corde pour attacher les pattes de la vache laitière reçue lors du trayage (icansi n’injishi). Il recevait également une baratte et une belle natte (igisabo n’indava), pour reposer son corps fatigué par une dure vie de trayeur « royal ». Pour les « chouchous » du roi, on leur donnait d’autres cadeaux, plus précieux : une femme, et même des guerriers!
Pour un incoreke : il recevait une vache. S’il advenait qu’elle se marie avec un trayeur ou un cuisinier de la cour, on leur donnait une vache, des vivres et plusieurs cruches de boissons le jour de la levée de voile.
Pour un cuisinier : quand un cuisinier allait faire son mariage, on lui donnait une vache laitière et un taureau. On lui donnait également une belle natte. Le plus apprécié se voyait attribué une terre « où il pouvait installer un enclos familial et une belle étendue pouvant servir à l’agriculture pour le pâturage de ses vaches (urugo n’itongo).
Lors de son congé, le berger sur intercession du chef des gardiens recevait du Mwami ou du prince, une génisse qu’il emportait chez lui. Il était tenu de revenir au premier appel.
Toutefois, la fonction de domestique était parfois méprisée. Par exemple, « Gacoreke » diminutif du nom « Incoreke » figurait parmi les noms qui visaient à écarter la mort (Amazina y’ikuzwe), lorsque il était surtout donné à une fille. Son sens visait à rabaisser symboliquement son récipiendaire à un statut social si inférieur que même la mort ne voudrait pas d’une telle personne.
L’oubli et la négligence étaient sévèrement sanctionnés pour certains domestiques. Par exemple, la bouse ne devait jamais traîner dans l’enclos royal, sinon cela constituait un maléfice signalant la mort prochaine du roi.
Des spécificités de l’Umuganuro
Pendant la fête des semailles Umuganuro, les activités liées aux travaux domestiques étaient valorisées. Une personne (une des vestales de la cour) était chargée des vivres et des boissons (indya n’inyobwa) et veillait à ce qu’il y en ait en suffisance. Elle était appelée Nyangemanya, celle qui offre avec délicatesse (Kugemanya = offrir délicatement).
Il y avait aussi le maître des cérémonies, Umunyabintu, chargé de toute l’organisation matérielle. Inamukomacoto, elle, nourrissait la chaleur du foyer et entretenait même le feu sacré qui, le jour de l’Umuganuro, était distribué aux Baganwa, ceux-ci à leur tour allaient le donner à la population. Elle était responsable de la propreté du palais. Elle balayait la maison principale.
Pour la préparation du repas cérémoniel, les deux vestales Inamukomacoto et Nyangemanya étaient également chargées de moudre le sorgho qui servirait pour préparer la pâte consommée par le roi et les ritualistes présents. A cette pâte amère faite étaient ajoutés quelques légumes et un peu d’urine du taureau sacré Semasaka. Miaaaaam!