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Burundi-carburant : la pénurie de tous les maux

La spéculation autour des prix de transport, la hausse des prix des denrées alimentaires et un ralentissement généralisé de l’activité économique sont les conséquences remarquables de la rareté des produits pétroliers qui s’observe au Burundi depuis bientôt plus d’un mois. Un enchevêtrement de causes a conduit à cette pénurie. Aujourd’hui l’heure est à la recherche des solutions. Coup de projecteur

En ce moment, on observe de longues files d’attente aux différentes stations-services. Des véhicules de toutes sortes s’y trouvent en permanence à la recherche de l’essence ou du mazout. Le phénomène est observé ici au Burundi mais aussi dans pas mal de pays, en Afrique et ailleurs. Les causes de cette pénurie sont multiples, selon les pays.

Corollairement, des files d’attente des personnes devant les parkings des bus desservant le centre-ville vers les différents quartiers de la capitale économique s’observent chaque soir.

Des répercussions tous azimuts

A côté de ces difficultés pour se déplacer, la pénurie a fait place à la spéculation des conducteurs des taxis et autres transporteurs. Emelyne, une habitante de Bujumbura n’y va pas par quatre chemins. Sous prétexte de la pénurie du carburant, fait-elle savoir, et profitant de la décision du Ministère de la Sécurité Publique d’interdire les motos, vélos et Tuk-Tuk d’accéder au centre-ville de Bujumbura, les taximen fixent des prix exorbitants pour déplacer les clients : « Pour quitter le centre-ville vers Kinindo (sud de la capitale économique) ou bien Kamenge (au nord) tu dois débourser entre 15 et 20 mille Fbu alors que cette course est fixée normalement à 5 mille Fbu. »

Pire, accuse cette fonctionnaire, le taxi n’est plus individuel : « Tu dois accepter de te déplacer avec d’autres passagers et vous êtes à cinq ou six souvent dans une voiture dédiée à ne déplacer que quatre passagers. »

La même spéculation s’observe dans le transport en partance vers les provinces. Au parking de Cotebu, les prix du ticket de transport pour Bugendana, officiellement fixé à 5 mille Fbu est actuellement à 10 voire 12 mille Fbu. Celui pour Bukeye qui était à 4 mille est à 8 mille Fbu.

Les causes de la pénurie

Interrogé, Faustin Ndikumana, président de la PARCEM, fait savoir que la pénurie du carburant observée ces derniers temps est liée à la géopolitique mondiale. La Russie étant le troisième producteur d’or noir dans le monde, avec 10 millions de barils par jour, la guerre qu’elle mène en Ukraine a occasionné la hausse du prix du baril : « Pour les pays importateurs qui n’ont pas assez des moyens comme le Burundi, c’est un réel problème sans oublier que nous avons une crise de manque de devise dans notre pays. »

Même son de cloche de la part de l’économiste Pr Léonidas Ndayizeye qui explique que dans certains pays, notamment au Burundi, le manque de devises suffisantes est souvent la cause de cette pénurie : « C’est ainsi qu’on y observe des pénuries récurrentes, et ce malgré la volonté des pouvoirs publics de venir à bout de ce problème. »

A l’instar de Monsieur Ndikumana, le Professeur Leonidas Ndayizeye estime qu’aujourd’hui, la pénurie est aussi expliquée par la guerre en Ukraine. En effet, éclaire le professeur, la Russie figure en deuxième position des plus gros producteurs de pétrole, derrière les Etats-Unis et devant l’Arabie Saoudite. Elle en est également le deuxième exportateur au niveau mondial : « Les sanctions que les pays essentiellement de l’OTAN ont prises à l’encontre de la Russie créent une pénurie de ce produit sur le marché mondial et font ainsi grimper son prix. »

C’est ainsi que le prix du baril a connu rapidement une hausse, passant de 86,51$, à 97,13 $ et à 117,25 $ en janvier, février et mars 2022 respectivement. Pendant le même mois de mars, le baril est allé jusqu’à coûter plus de 135$. Ce n’est qu’après la promesse des pays membres de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) (hormis USA) de puiser 60 millions de barils dans leurs réserves d’urgence et l’engagement du Président américain Joe Biden de libérer 180 millions de barils supplémentaires lors des prochains mois, confie Pr Léonidas Ndayizeye,  que cette tendance à la hausse a été désamorcée, pour passer encore en dessous de 100 $ au début de ce mois (avril), les inquiétudes antérieures concernant la pénurie d’approvisionnement n’étant plus pleinement justifiées.

Une situation de plus en plus difficile

La conséquence directe de cette pénurie, indique Faustin Ndikumana, est liée au manque ou à la diminution de l’approvisionnement en courant électrique. Plusieurs barrages étant encore en construction, une partie de l’énergie provient des centrales thermiques qui utilisent du carburant. La pénurie de celui-ci conduit donc au manque d’électricité suffisante, aux délestages, à la baisse des activités et donc de la productivité.

Au Professeur Ndayizeye de renchérir : « Les conséquences de cette pénurie se font sentir dans plusieurs pays, y compris ceux qui ne dépendent pas directement du pétrole russe. Et ces conséquences se répercutent directement sur les prix de beaucoup d’autres biens et services, locaux ou importés, notamment le coût du transport, celui des denrées alimentaires, etc. »

Surtout, explique-t-il, la hausse des coûts des facteurs de production et des intrants de tout genre conduit automatiquement à une hausse du niveau général des prix, c’est-à-dire à l’inflation, impactant ainsi le pouvoir d’achat des ménages qui se dégrade.

Au Burundi par exemple, martèle l’économiste, la pénurie vient empirer une situation déjà rendue difficile par la hausse du prix à la pompe qui était passé de 2400 à 2700 Fbu le litre en janvier 2022. Le prix de beaucoup de denrées alimentaires a augmenté. Même si le Burundi n’importe pas beaucoup de la Russie (et de l’Ukraine), il sera essentiellement touché à travers la flambée des prix des différents produits notamment les produits agricoles et/ou les intrants agricoles dû à la pénurie du carburant et éventuellement à une autre hausse de son prix.

Des pistes de solutions

Pour le Pr Léonidas Ndayizeye, une des meilleures façons pour faire face à cette pénurie répétitive est de multiplier les importateurs de ce produit très stratégique et ainsi rompre avec le monopole ou le quasi-monopole. Aussi, propose-t-il, il faudrait analyser les voies et moyens pour augmenter les devises qui entrent dans le pays : « C’est en effet avec ces devises que le pays paie ses importations, dont le carburant. »

En outre, conclut-il, la constitution d’un stock stratégique, à utiliser en cas de choc exogène défavorable est fortement recommandée : « Ce stock permettrait en effet au pays de stabiliser les prix à la pompe, situation fortement souhaitée par la population. »

Concernant le monopole observé dans l’importation du carburant, Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME (observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques) pointe du doigt le monopole de la société Interpetrol qui occupe seule le terrain : « Elle est partout ou presque dans les marchés publics de la Regideso, l’armée, la police, etc. Ce n’est pas normal dans un pays comme le Burundi. Il devrait y avoir plusieurs opérateurs économiques. »

Le second problème se situe au niveau du climat des affaires au Burundi. Pour lui, les investisseurs burundais et étrangers susceptibles d’investir dans le secteur pétrolier sont sceptiques, s’ils ne sont pas tout simplement déboutés par de multiples vols et d’autres lourdeurs administratives qui finissent par les convaincre qu’ils ne sont pas les bienvenus dans ce secteur.

Au sujet du manque des devises, Faustin Ndikumana propose le recours, dans l’urgence au crédit auprès du FMI : « Nous avons entendu dernièrement que le Gouvernement voulait améliorer ses relations avec cette banque, donc c’est possible de recourir rapidement à ce type de crédit pour avoir des devises. »

Une autre voie, suggère Monsieur Ndikumana, à laquelle le Gouvernement pourrait recourir pour avoir des devises suffisantes est le secteur minier : « C’est un secteur dont l’Etat ne parvient pas à tirer tous les bénéfices. Espérons que la situation va changer avec le dernier contrat signé entre le Gouvernement et East African Region Project Group. »

Interpetrol dit ne pas comprendre

Au chapitre de la constitution du stock stratégique du carburant, Faustin Ndikumana estime qu’aucun pays ne peut se développer actuellement sans la mise en place de plusieurs stock stratégiques : « Imaginez s’il advient de l’insécurité dans nos pays limitrophes qui empêche l’entrée du carburant. Donc il nous faut une vision pour mettre en place ces stock. Sous d’autres cieux, ils en constituent au moins pour six mois voire une année pour parer à toute éventualité en cas de rupture d’approvisionnement. »

Interrogé par nos confrères de la RTNB au sujet de la pénurie du carburant ce 15 avril, Willy Nderagakura, directeur commercial d’Interpetrol, dit ne pas comprendre les files observée ces derniers temps devant les stations-services : « La société Interpetrol approvisionne chaque jour plus de 110 stations-services avec 350 mille litres d’essence à travers tout le pays depuis deux semaines. » Avec cette quantité, explique-t-il, 7.000 véhicules peuvent être servis chaque jour dans tout le pays à hauteur de 50 litres par voiture.

A propos du mazout, Willy Nderagakura indique qu’Interpetrol distribue chaque jour entre 400 mille et 500 mille litres : « Nous ne comprenons pas pourquoi il y a toujours ces longues files d’attente devant les stations-services ».

Pour mettre fin à la spéculation, la mairie de Bujumbura vient d’interdire le transport du carburant dans des bidons sauf ceux qui ont l’autorisation du ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines. « Celui qui passera outre sera sévèrement sanctionné. Les gérants des stations sont priés de veiller à la stricte application de cette mesure. Il est demandé aux administratifs et à la police d’en assurer le suivi ».

Jimbere a contacté, sans succès, le porte-parole du Ministère en charge de l’Energie et des Mines pour plus de précisions quant à la pénurie du carburant.

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