Les Burundais sont frappés de plein fouet par la cherté de la vie. Les prix s’envolent dans tout le pays. Certaines familles ne rechignent plus sur une certaine qualité des vivres. Experts et activistes demandent des mesures urgentes.
Dossier réalisé par Jérémie Misago (Iwacu) et Evariste Niyonkuru (Jimbere)
Les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter jour après jour, variant selon le lieu et le moment de l’approvisionnement. Cette situation oblige les Burundais à faire des choix difficiles pour se nourrir.
Au marché de Bujumbura City Market, communément appelé Kwa Siyoni, le riz tanzanien de première qualité se vend à 7 000 Fbu, tandis que le riz local oscille entre 4 500 et 4 800 Fbu. Le riz Urutete quant à lui se négocie entre 5 500 et 6 000 Fbu.
Pour les haricots, le kinure se vend de 3 500 à 4 000 Fbu, le haricot jaune de 6 000 à 6 500 Fbu, et le Muhoro à 5 500 Fbu. Quant aux haricots frais (bitoto), ils s’échangent entre 11 000 et 12 000 Fbu le kilo.
Suite à cette flambée, les consommateurs rencontrés sur place racontent qu’ils ne sont plus capables de faire du stock, préférant acheter ce qu’ils consomment une fois par jour. Afin de continuer à survivre, certaines familles ont substitué le haricot par les légumes verts, les autres par la dernière qualité connue sous le nom de Kirundo mais en petite quantité
« À défaut de pain, on mange de la galette », témoigne un consommateur. Il est contraint de substituer le haricot Kinure devenu trop cher par la variété Kirundo moins onéreuse. D’autres familles ont dû réduire la quantité de haricot au profit des légumes verts. « C’est juste pour adapter nos revenus irréguliers à ces coûts intenables », explique un autre client.
Il n’y a pas de grande différence des prix de ces produits entre le marché Kwa Siyoni et celui de Cotebu sauf que les graines de maïs s’y vendent à 2700Fbu alors qu’ils s’achètent 3200Fbu chez Siyoni.
Même constat en provinces
Au marché de Gitega, la situation est similaire, avec une hausse marquée des prix depuis six mois. Le haricot Kinure est passé de 2 800 à 3 500 Fbu, le Muhoro de 3 500 à 4 500 Fbu, et le Kirundo de 2 200 à 3 300 Fbu. Les graines de maïs ont également vu leur prix doubler, passant de 1 200 à 2 500 Fbu.
À Makamba, le riz le plus cher se négocie entre 5 500 et 6 000 Fbu, tandis que le moins cher s’achète à 4 000 Fbu. Pour le haricot, le moins cher coûte 3 500 Fbu et le plus cher 4 000 Fbu. Selon les consommateurs et vendeurs sur place, ces prix ont pratiquement doublé en six mois.
Au marché central de Bubanza, il s’observe une augmentation significative des prix des produits vivriers de première nécessité. Cette hausse des prix met à mal le pouvoir d’achat des ménages de la province. Une enquête sur le terrain montre que les prix de certains aliments de base ont connu une flambée ces six derniers mois. Ainsi, le haricot de type Kirundo, aliment de base dans la région, a vu son prix le moins cher passer de 2300 à 3500Fbu, tandis que la variété la plus chère a doublé, atteignant 6000 Fbu.
Pour le riz qui est largement cultivé dans toute la plaine irriguée de Bubanza et dans les vallées gorgées d’eau des collines de Bubanza, surtout pendant la période pluvieuse, la seule variété disponible sur le marché est désormais vendue entre 4000 et 4300 Fbu, contre 3200 Fbu il y a encore six mois. Même constat pour les graines de maïs, dont le prix est passé de 1700 à 2700 Fbu.
Cette situation a conduit à une réduction sensible des achats des vivres. Un chef de ménage rencontré au marché déplore que avant, il achetait deux kilogramme de riz par jour, un kilogramme de haricots et trois kilogrammes de farine de maïs pour nourrir une famille de 8 personnes. Mais actuellement, ses enfants se contentent de peu et ne mangent plus à leur faim.
La fixation unilatérale des prix mise en cause
Les commerçants locaux évoquent plusieurs facteurs pour expliquer cette flambée des prix. Il s’agit notamment de l’éloignement des zones de production qui augmente les coûts logistiques ainsi que la pénurie du carburant qui complique le transport des marchandises.
Selon les observations de l’ABUCO, Association Burundaise des consommateurs, l’inflation est exacerbée par plusieurs facteurs, notamment la période de soudure, la dépréciation du Fbu, et une pénurie de devises sans toutefois oublier celle du carburant.
Noel Nkurunziza, secrétaire général et porte-parole de l’ABUCO souligne que cette situation est aggravée par la fixation unilatérale des prix par les commerçants, qui agissent souvent sans régulation adéquate. « Les commerçants fixe les prix à leur guise à tort ou à raison », dénonce Noel Nkurunziza
Le Secrétaire Général et porte-parole de l’ABUCO, appelle à une collaboration entre les ministères en charge du commerce, d’agriculture et de Finances pour développer des stratégies visant à faciliter l’accès aux devises pour les commerçants qui approvisionnent le marché en denrées de première nécessité.
Multiplier les cultures, une possible solution
Ce représentant des consommateurs propose que les ministères concernés, en collaboration avec l’ISABU et d’autres instituts de recherche, de se réunir pour prendre des mesures visant à améliorer la production durant les périodes creuses.
Il suggère également des stratégies d’encadrement de la population pour multiplier les cultures, ce qui permettrait de garantir une offre suffisante sur le marché pendant les périodes de soudure. Il est également crucial de promouvoir l’intensification de la production des produits agricoles exportables, comme le café et le thé, afin de renforcer l’économie locale.
M. Nkurunziza met en avant la nécessité d’une régulation efficace pour éviter que la situation ne se détériore davantage. Et de mettre en garde que si aucune mesure n’est prise rapidement, cela pourrait mener à un désordre généralisé sans oublier la nécessité d’assurer la disponibilité du carburant pour faciliter le transport des biens et des personnes.
Contacté Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, les prix ont monté de 20 à 400% et cette flambée des prix s’expliquent par plusieurs facteurs : « La production intérieure est insuffisante et les importations n’arrivent pas à combler ce déficit, sans oublier le principe de la loi de l’offre et de la demande ».
Des mesures urgentes s’imposent
D’après lui, actuellement les importations viennent aux comptes gouttes du simple fait qu’il n’y a pas de devises. Par ailleurs, il explique que les devises sont le nœud de tous les problèmes : « Il est urgent de trouver les solutions à cette question. On peut donner trois solutions urgentes. A la recherche d’un crédit de cinq cent million de dollars. Il faut également des mesures conséquentes pour les gérer ».
Gabriel Rufyiri demande la mise en place d’une commission d’experts pour proposer des solutions. Cette commission d’experts doit être indépendante en vue de proposer des hypothèses et publier des solutions proposées. « Cela nécessite vraiment la conjugaison d’efforts. Aucune institution n’a de solutions magiques. Seulement, il faut que des experts donnent des propositions au gouvernement pour qu’il prenne le taureau par les cornes pour trouver des solutions dans l’urgence ».
Contacté, Onesime Niyukuri, porte-parole de la ministre en charge du commerce, s’est refusé à tout commentaire, promettant de fournir des informations sur les mesures que le ministère compte mettre en œuvre pour faire face à cette situation alarmante après le conseil des ministres qui doit statuer sur ce dossier.
Eclairage
« Le déficit budgétaire constituent un des facteurs à l’origine de la flambée des prix dans le pays »
Pour Serges Ntirampebura, expert en Gestion des politiques économiques, les taxes revues à la hausse en vue de compenser le déficit budgétaire, l’implication des dignitaires dans le commerce avec son corollaire de concurrence déloyale, sont à l’origine de la flambée des prix dans le pays.
Le budget consommation, explique-t-il, reste plus élevé que celui d’investissement : « Le gouvernement fait beaucoup de dépenses de consommation, notamment dans le paiement des fonctionnaires, dans les voyages et d’autres dépenses. »
Bien plus, fait-il remarquer, dans ce budget, il existe des dépenses qui n’ont pas de sources. D’où l’augmentation des prix car c’est la population qui doit payer pour compenser ce manque : « En gros, chaque contribuable burundais doit payer dans la diminution du pouvoir d’achat de la monnaie, ce qui se traduit par la hausse des prix. » Et de suggérer de restreindre ce budget en oubliant les charrois de l’Etat dans le sens de diminuer le déficit budgétaire.
Et de rappeler que la stabilité des prix, est une orientation qu’un gouvernement peut prendre et qui présente beaucoup d’avantages notamment l’accroissement d’épargne dans les banques pour augmenter les liquidités qui va diminuer les taux d’intérêt et pousser le secteur privé à augmenter la production.
Côté implication des dignitaires dans le commerce, cet expert estime qu’ils doivent abandonner cette pratique car il s’agit d’une entrave en ce qui de la concurrence dans le commerce.
Pour lui, cette situation ne fait qu’amplifier la pauvreté et la flambée des prix dans le pays. «Des fonctionnaires de l’Etat prétendent êtres des opérateurs économiques alors qu’ils utilisent des moyens de l’Etat. Si vous devez faire une comptabilité, calculer combien de moyens ils ont mis par rapport à la production, dans la plupart des cas vous allez trouver qu’il n’y a pas eu de gain. C’est juste une malversation économique ».
Ces chefs administratifs font une concurrence déloyale et l’absence de concurrence aussi amène une absence de productivité, ce qui ne fait qu’augmenter les prix et la pauvreté dans le pays. « C’est pourquoi en fait il y a beaucoup d’opérateurs économiques qui naissent car ils utilisent les moyens de l’Etat. Et le jour où ils cessent les fonctions, ils abandonnent cette opération économique qui n’était pas rentable. C’est pourquoi chez nous, chaque régime amène les nouveaux riches. C’est-à-dire des gens qui ne faisaient rien comme activité économique mais comme il y a des moyens gratuits de l’Etat, ils exploitent et gagnent des profits exorbitants ».
En réalité conclut-il, leurs activités ne sont rentables que parce qu’ils utilisent les moyens qui ne sont pas les leurs : « Ils n’ont pas de dépenses et à vrai dire, c’est cette malversation économique qui est rentable chez ces personnes et non leur activité.»